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ce sont les conditions économiques et sociales; la démocratie socialiste, la démocratie catholique, y dévouent leur attention; le groupe de libres esprits qui se qualifie democrazia italiana y demeure beaucoup plus indifférent. Depuis le moment épique de leur vie, on dirait que ces hommes ont cessé de vivre; comment donc introduiraient-ils, dans la politique qu’ils inspirent et dans les avis qu’ils donnent à leurs mandataires, cette notion même de vie, indispensable à la santé de l’Etat, et dont M. Charles Benoist, dans ses écrits sociologiques, a si lumineusement retrouvé les titres et si fortement rappelé les droits ? C’est au détriment même de l’édifice par eux fondé que ces vétérans d’un autre âge survivent à leur vieille gloire. Ayant conservé les idées et les attitudes d’une période de luttes, ils sont incapables d’orienter le gouvernement central, qui les respecte, et les administrations locales, qu’ils font trembler, vers la pacification. Il est des ouvrages, en politique, qui ne peuvent être consolidés que par l’effacement des premiers maçons ; tout ami de l’Italie devrait souhaiter cet effacement. Et peu à peu, sans doute. Dieu les efface — le Dieu du pape et de M. Crispi; — mais ils prétendent imposer leur doctrine, la façon de leurs propres cerveaux, et la vétérance de leurs pensées, aux politiciens plus jeunes qui rêvent l’héritage. Ainsi se forme et se cramponne une oligarchie, spécialement affectée à la conduite de l’Etat, oligarchie dont le personnel va se rajeunissant et dont les idées vont vieillissant, dont la valeur intellectuelle n’augmente pas et dont la valeur morale diminue. La brèche de la Porte Pie, le 20 septembre 1895 , a livré passage, derechef, à cette oligarchie-là; plus encore qu’en 1870 pour l’armée piémontaise, la voie fut trouvée libre cette année-ci. On est attristé, découragé, engourdi, par ce quart de siècle qui vient d’expirer, rapide, infécond, et qui est moins joyeux à son terme, moins riche en promesses qu’il ne paraissait à son aurore; c’est M. Bonghi qui fait entendre, dans la Nuova Antologia, ces courageuses doléances[1]. Il les répète dans un discours, au moment même des fêtes; il rend la papauté responsable des déceptions de l’Italie, et laisse entrevoir, à l’ardente lumière de ses invectives, que la victoire de 1870 fut plus facile que fructueuse, et plus bruyante que complète.


IX

Le 20 septembre 1895 , il n’y a pas eu de vainqueurs, ou plutôt les vainqueurs de la veille — cette oligarchie que j’ai définie

  1. Nuova Antologia, 15 septembre 1895 , p. 197.