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physique ou de leurs qualités guerrières ; ils ont des « compagnons » qui les ont choisis librement : c’est là un lien entre individus, non un lien public. L’idée de l’Etat, à vrai dire, n’existe pas. Chez les Gaulois, il n’y avait pas seulement ainsi « compagnonnage », il y avait déjà « clientèle » ; ce qui, au point de vue de la sociologie, suppose une organisation plus savante. Et ce système de clientèle ne s’appliquait pas seulement aux individus, il s’étendait à des tribus entières : un peuple faible était client d’un plus fort. Des espèces de confédérations embrassaient presque toute la Gaule; faut-il rappeler qu’à l’époque de César, deux peuples rivaux, les Eduens et les Arvernes, se disputaient le patronage des différens peuples gaulois? Il y a là, plus encore qu’en Germanie, une première esquisse du lien féodal. La vérité est que les Germains étaient restés à un état social plus simple ; leur race étant moins mêlée, il n’y avait pas chez eux une distinction aussi profonde entre conquérans et conquis ; c’est pour cela qu’ils avaient plutôt des compagnons que des « cliens ». Mais, en somme, ils ne manifestaient guère plus d’esprit public que les Gaulois; divisés comme eux, ils furent comme eux vaincus en raison de leur division même. Ils restèrent même bien plus longtemps à l’état d’anarchie que les Gaulois, qui se plièrent tout de suite à la centralisation romaine.

Ce qu’on peut admettre, c’est que les Celtes avaient tout ensemble moins d’individualisme, et, sauf dans le domaine religieux, moins de sentiment hiérarchique que les purs Germains. Comme nous l’avons dit, ils se sont toujours montrés plus égalitaires, que ce fût l’égalité dans la liberté ou l’égalité sous un maître. En outre, grâce à leur sociabilité plus grande, ils étaient parvenus à un stade plus élevé de l’évolution sociale. S’appuyer sur ces faits pour en tirer des inductions applicables à notre époque, c’est se faire illusion ; ceux qui nous traitent de Celtes nous prétendent anarchiques, ceux qui nous traitent de Romains nous prétendent faits pour la centralisation despotique. La vérité est que, ici encore, le Fatum des races est une idole. Vainement oppose-t-on, surtout en Allemagne, les nations « latines » aux nations germaniques; vainement rejette-t-on la France parmi ces peuples latins, « légers et frivoles », qui auraient tous « le besoin inné de la tutelle gouvernementale », au lieu d’avoir le goût germanique de la liberté et de l’initiative individuelle ; la France, on l’a vu, n’est point une nation latine. Les historiens ont même montré que, parmi les contrées occidentales, nulle ne demeura plus pure du sang romain que la Gaule. Il y eut sans doute, dans les vallées de l’Aude, du Rhône et de la Moselle, des colonies romaines ou