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et de dévouemens », un héritage reçu indivis, qu’il faut continuer de faire valoir et qu’on accepte avec conscience par une sorte de « plébiscite de tous les jours ». Nous sommes ce que vous fûtes, disait le chant Spartiate aux ancêtres, nous serons ce que vous êtes. Ce que les poètes antiques disaient par figure, les savans modernes ont raison de le redire au nom de la réalité même ; mais ce n’est pas seulement, comme beaucoup d’entre eux paraissent encore le croire, l’hérédité de la race et l’action permanente du milieu physique, c’est le langage, l’éducation, la religion, les lois et les mœurs qui perpétuent l’influence ancestrale. Cette impulsion qui, partie de si loin, nous traverse et nous ébranle à travers les âges, comme une même force soulevant tous les flots d’une même mer, n’est pas uniquement la poussée aveugle des instincts de l’âge quaternaire ou celle des agens matériels qui nous entourent ; elle est encore celle des idées et des sentimens développés par la civilisation et qui superposent à l’organisme physique un organisme moral. Si une nation est un même corps, elle est avant tout une même âme. Dans quelque étude ultérieure nous essaierons de montrer, au point de vue psychologique, ce qu’est devenue l’âme française. Dès à présent nous pouvons conclure qu’on ne saurait voir un «crépuscule de peuple » dans un excès de nervosisme ou dans un affaiblissement musculaire qu’on retrouverait plus ou moins chez les autres nations. Si la vie intellectuelle et les influences sociales, avec leurs biens et leurs maux, sont devenues en France plus prédominantes qu’ailleurs, tandis que les influences ethniques y sont arrivées à un état d’équilibre éminemment instable, il y a là pour nous une raison d’espérer comme de craindre. Aux heures critiques, le caractère national, avec les destinées heureuses ou malheureuses qu’il enveloppe, devient surtout une question d’intelligence et de volonté : la perte ou le salut de la nation est en ses propres mains.


ALFRED FOUILLEE.