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s’en remettraient à ceux du second, qui choisiraient et investiraient, qui éliraient dans la plénitude du sens. Mais la pratique donne tout autre chose. Ce n’est que par exception que l’électeur primaire se résignera à choisir seulement celui qui doit choisir pour lui. A l’ordinaire, il tombera en l’une ou l’autre de ces deux extrémités : ou il lui semblera sans intérêt de se déranger pour si peu, — et le premier degré du suffrage s’affaissera, s’effondrera sous le second ; ou bien, tout de suite et tout d’un coup, l’électeur primaire entendra choisir celui qui devra être choisi, et il l’imposera à l’électeur du second degré, réduit au rôle d’homme de paille ou de tiers entremis entre le véritable électeur et l’élu : — alors le second degré du suffrage sera écrasé et annihilé sous le premier. Que l’électeur du premier degré se détache ou empiète, il y a un acte qu’il n’accomplira pas : précisément celui qu’on lui demande, et dont l’accomplissement est nécessaire à la marche normale du suffrage à plusieurs degrés ; il ne se bornera pas à choisir l’électeur du second degré. Quoi qu’il fasse après cela, qu’il ne vote pas du tout ou vote par delà et par dessus l’électeur du second degré, un des degrés du suffrage aura disparu, soit le premier, soit le second, — et le suffrage à deux degrés se trouvera, en pratique, ramené tout juste à ce qu’est le suffrage universel direct.

Il y sera ramené autrement encore. Le suffrage universel direct aboutit, on l’a vu, à une mystification, et le peuple, en qui résident — on le lui chante sur tous les tons — la force et le droit, la « souveraineté », n’est, dans le fait, qu’un fantoche aux mains de quelques-uns. Si le suffrage à deux degrés coupait court à cette plaisanterie, nous délivrait de la tyrannie hypocrite et le plus souvent stupide des comités ! Mais non, dans aucune des deux hypothèses. Si l’électeur primaire boude et déserte le scrutin du premier degré, le champ n’en est ouvert que plus large et plus libre aux entrepreneurs d’élections, qui se rabattent sur les électeurs du second degré et tâchent de les circonvenir, comme ils faisaient des autres. Si, au contraire, l’électeur primaire regimbe, et traite en commissionnaire, chargé de porter son bulletin, l’électeur du second degré, s’il le choisit, à cause non pas de sa capacité à bien choisir, mais de sa docilité à voter pour tel ou tel, qu’il s’imagine avoir lui-même et à l’avance choisi, il n’en sera ni plus ni moins qu’il n’en est avec le suffrage direct, et dans les dessous du suffrage à deux degrés, comme dans les dessous du suffrage direct, se tiendra, caché et conduisant la pièce, l’éternel X, Y ou Z.

Ni pis ni mieux que dans le suffrage direct. Le suffrage à deux degrés ne fait qu’ajouter une vaine formalité, — l’investiture par