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sévère — et ne serait pas juste — si l’on voulait en rester là, le prononcer tout sec et n’y ajouter rien.

Il y a une chose au moins à ajouter, et c’est que, dans ses fondemens et à son point de départ, la théorie d’où sont sorties toutes ces combinaisons jugées et rejetées, cette théorie avait du bon. C’était l’ébauche, assez distincte déjà, d’une théorie de la société et de l’Etat, qui se refusait à ne voir dans la société qu’une agglomération d’individus et dans l’Etat qu’une addition d’unités. Cette théorie ébauchée, ses auteurs l’appelaient dyjnamique, car ils concevaient la société et l’Etat plutôt comme des mécanismes mus par des forces ; et, poussée plus avant, nous l’appelons organique, regardant la société et l’Etat plutôt comme des organismes qui remplissent des fonctions. Mais, c’est la même ; et elle contenait en germe un système dynamique ou organique du suffrage, force motrice ou fonction vitale de l’Etat moderne.

Malheureusement, elle a dévié sur le chemin de la réalisation pratique, dans la courbe à faire pour passer de l’idée à l’acte par la loi ; et, dynamique ou organique, la théorie est venue flinir en une combinaison arithmétique. Tandis qu’à son point de départ elle niait l’excellence, la divinité du nombre, et repoussait la notion purement arithmétique de la société et de l’Etat, elle y retournait à son point d’arrivée ; elle allait aboutir à des jongleries de nombres ; elle recommençait, après avoir posé en principe que les hommes sont force ou fonction de la société et de l’État, à les traiter en pratique comme des chiffres.

C’est là qu’elle a dévié : c’est là que la voie est à reprendre. Ayant posé en principe que les hommes sont force ou fonction de la société et de l’Etat, il faut les traiter en pratique comme force ou fonction de la société et de l’Etat. Il faut que la théorie s’achève, non pas en une combinaison arithmétique, mais en un système organique, et que ce système ait pour première assise, non pas le suffrage pluralisé, — soit en degré, soit en puissance, — mais le suffrage organisé.


CHARLES BENOIST.