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de créance que méritaient les divers témoignages. Il leur dit que le massacre des Mountain Meadows était sans analogue dans les fastes des temps modernes et chez les peuples civilisés, que les hommes qui avaient commis cet exécrable forfait avaient montré une férocité vraiment diabolique ; puis il fit remarquer que le crime n’était pas contesté, non plus que le lieu où il avait été commis, ni la date, et il ajouta que le prisonnier amené devant le jury était accusé non seulement d’avoir été un des acteurs du drame, mais aussi de l’avoir dirigé. D’autres, tels que Dame, Haight, Higbee, Adair, Wilden, Jukes, Klingensmith, Stewart, avaient également été accusés, mais en ce moment, John Doyle Lee, seul, était en cause ; le jury n’avait pas à s’occuper si ses complices seraient arrêtés à leur tour et mis en jugement ; il était raisonnable de penser que cette mesure de justice ne se ferait pas attendre, mais actuellement, il le leur répétait, il s’agissait uniquement pour les jurés de prononcer si John Doyle Lee était innocent ou coupable. Après cet exorde, le juge Boreman entra dans un examen minutieux de tous les faits sur lesquels les jurés allaient être appelés à prononcer, donnant tous les éclaircissemens qui lui paraissaient utiles sur les points qui pourraient sembler obscurs, tant en ce qui concernait l’appréciation du degré de culpabilité, qu’en ce qui touchait la peine encourue, et il termina en adjurant le jury de prononcer son verdict sans avoir égard aux influences extérieures, selon sa conscience, en se rappelant que c’était là son devoir vis-à-vis du prisonnier comme du pays tout entier.

Le lendemain, mercredi 4 août, le district attorney Carey prit la parole au nom du ministère public. Rappelant successivement tous les témoignages produits contre John D. Lee, il prouva qu’il y avait eu préméditation de sa part ; que des ordres mystérieux et redoutables avaient été donnés ; que la thèse rendant les Indiens responsables du massacre était aussi peu soutenable qu’était absurde l’histoire du bœuf empoisonné, qui aurait été la cause du conflit entre les émigrans et les Peaux-Rouges ; enfin il se demanda s’il existait un parti politique ou une organisation théocratique qui consentirait à assumer la honte de justifier ce massacre, s’il y avait un seul homme qui serait prêt à venir à cette barre, dire : « Rendez la liberté à ce prisonnier ! » Il affirma qu’il ne croyait pas que ce fût possible et conclut en demandant aux jurés de prononcer le verdict qui s’imposait à leur conscience.

Le juge Sutherland répondit le premier pour la défense. Après les lieux communs ordinaires sur la peine de mort, après avoir reconnu que le massacre des Mountain Meadows était un crime épouvantable, sans précédent, qu’il n’y avait pas de châtiment suffisant pour les individus coupables d’un si horrible forfait, il