Schopenhauer distingue, comme l’on sait, trois degrés dans la connaissance : la connaissance ordinaire, ou pratique, qui ne perçoit les choses que par rapport à nous ; la connaissance scientifique, qui les perçoit dans leurs rapports entre elles ; et la connaissance artistique, ou « purement objective », qui, de la variété de leurs rapports, dégage toujours plus clairement l’essence des choses[1]. Avant même d’avoir lu Schopenhauer, Wagner était arrivé à une conception pareille de la connaissance artistique.
Il ne l’a point exprimée, naturellement, en des termes philosophiques aussi précis; et peut-être même certaines des expressions qu’il en a données risqueraient-elles de nous paraître assez énigmatiques, si nous n’étions d’avance au courant de l’ensemble de sa doctrine : ainsi, lorsqu’il nous dit que « la science trouvera son accomplissement dans l’art, en même temps que sa rédemption. » Seul le philosophe pouvait fournir une claire définition logique de ce que l’artiste se bornait à sentir; mais pour Wagner comme pour Schopenhauer, la dignité de l’art se fonde sur ce fait, que la connaissance artistique est une connaissance « purement objective », et réalise, comme telle, la forme suprême de la connaissance.
Mais de même que le philosophe et l’artiste étaient parvenus à cette conception par des voies différentes, de même cette conception les a ensuite conduits dans des directions différentes. Schopenhauer ne se préoccupe que de son système de métaphysique : « La philosophie, dit-il, restera une entreprise vaine, aussi longtemps qu’elle ne substituera pas la connaissance artistique à la connaissance scientifique. » Mais Wagner, l’artiste qui, « même dans son art, ne cherchait que la vie » de cette conception de la connaissance artistique, a aussitôt conclu que « l’art devait être le véritable éducateur de la vie humaine. »
Il estimait que le sentiment artistique, à lui seul, produisait déjà une connaissance purement objective. « L’homme y parle à la nature, et la nature lui répond. Et ne comprend-il pas mieux la nature, dans cet entretien, que ne fait le savant à travers son microscope? Celui-ci ne comprend de la nature que ce qu’il n’a nul besoin d’en comprendre, tandis que l’artiste, dans la fièvre de
- ↑ Je ne connais aucun autre philosophe qui ait exprimé cette distinction aussi clairement que Schopenhauer; mais plus d’un, avant lui, l’avait pressentie. Kant, par exemple, distinguait déjà « les trois degrés de la connaissance », et Baumgarten plaçait dans la beauté le fondement de la connaissance philosophique.