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Pasteur ; un certain nombre de ces dernières ne sont que les corollaires des propositions de Darwin.

Ajouterai-je qu’il faut rapprocher ces deux grands hommes, parce qu’ils ont donné l’exemple d’une pondération parfaite, d’une entière et respectueuse liberté dans la recherche scientifique ? Puisqu’il y a une querelle de la science et de la foi, c’est à ces maîtres qu’il faut s’adresser pour apprendre d’eux combien il est facile de l’ignorer. Quelle que fût leur pensée intime, — et l’on connaît assez celle de Pasteur, — ils n’étaient au laboratoire que des savans, esclaves du résultat trouvé, indifférens aux interprétations hâtives des casuistes de l’affirmation ou de la négation ; ils se lançaient sans arrière-pensée en pleine mer, à la poursuite de la vérité scientifique ; persuadés que si elle est vraiment la vérité, elle se coordonnera toujours, après quelques malentendus, avec l’ensemble des vérités qui dirigent l’humanité. Ces nobles esprits se touchaient par le souci d’éclairer très librement les esprits sans blesser les consciences ; comme leurs doctrines se touchent par des rapports de conséquence, par la fusion que nous en avons fait dans notre philosophie de la nature.

La doctrine pastorienne a ceci d’original et de fort qu’elle est sortie tout entière d’une méthode. Habituellement, une doctrine préconçue crée sa méthode, pour s’étendre et se prouver ; Descartes lui-même, partant d’une proposition métaphysique, n’a pas procédé autrement. Avec Pasteur, la méthode a engendré la doctrine.

Cette méthode expérimentale, il la recevait d’une lignée de savans, dans un temps qui refusait de plus en plus sa créance à tout autre moyen de démonstration. Entre les maîtres qui subordonnèrent les recherches scientifiques à l’emploi de cet instrument unique, je crois bien qu’il faut nommer Magendie comme le plus résolu, le plus intransigeant. Claude Bernard, pour ne parler que des physiologistes, avait persévéré dans la même voie. L’efficacité merveilleuse de la méthode la mit en si grand crédit, qu’on voulut l’approprier à des sciences très différentes des sciences naturelles. Le positivisme fut un effort désespéré pour ramener toutes nos connaissances au critérium de l’expérimentation. Confondant un système avec une méthode, ses adeptes eurent parfois l’illusion qu’ils pouvaient introduire dans leur criticisme les procédés et les certitudes du laboratoire. De puissantes intelligences, un Comte, un Littré, rivalisèrent avec les chimistes et les physiciens ; ils tentèrent d’assujettir l’étude de l’esprit humain et du passé disparu à la discipline qui réussissait si bien dans l’étude des choses tangibles et permanentes.

La légitimité de cette extension fit l’objet d’un débat mémorable entre Pasteur et Renan, dans les discours qu’ils échangèrent