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davantage l’imagination populaire ; il n’en est aucun, ce me semble, y compris la prophylaxie de la rage, qui égale comme opération de l’intelligence cette théorie de la dissymétrie moléculaire, aboutissant à une loi d’où allaient découler toutes les trouvailles ultérieures. Pour son coup d’essai, l’observateur avait discerné et défini l’indice certain de la vie ; une particularité optique le décelait ; tout ce qui présentait cette particularité était produit de la vie ; tout ce qui ne la présentait pas provenait de la matière inorganique. Combien de portes sur l’inconnu se sont ouvertes et s’ouvriront encore avec ces deux clefs !

Il les a laissées sur sa tombe. L’usage que Pasteur fit de sa méthode et l’étroit assujettissement de sa doctrine à cette méthode eurent une conséquence précieuse : il la faut signaler ici. Le grand écrivain et la plupart des grands savans emportent avec eux l’instrument qui avait fait avancer l’humanité. Celui de Pasteur demeure entier, bon pour les mêmes services dans toute main dressée à l’employer. Il a monté une machine à découvertes et à bienfaits : elle continuera de donner ses produits après la disparition du chef d’usine. Disons mieux, et la comparaison ne paraîtra pas trop ambitieuse : il a opéré comme le Créateur, instituant par un premier acte les lois d’où devait sortir le développement progressif de l’univers. Ces lois portent naturellement leurs effets, sans qu’il soit besoin de l’intervention d’un miracle, le miracle du génie. Pour obtenir tous les résultats contenus en puissance dans les lois pastoriennes, il suffira aux disciples de les faire fonctionner exactement, suivant les formules promulguées par ce législateur de l’invisible.

Passons à la doctrine, engendrée et garantie par la méthode. Si je ne me trompe, trois propositions fondamentales la résument : — Les phénomènes de la vie ne sont pas attribuables à des agens physico-chimiques, ils sont dus à l’opération d’agens biologiques ; — ces agens sont des infiniment petits, répandus dans tous les organismes ; — ils portent en eux le remède aux maux qu’ils causent, on leur arrache ce remède par l’atténuation des virus.

La premier de ces principes renouvelait la physiologie, depuis les travaux de Claude Bernard et de son école. « Les élémens histologiques intérieurs sont tous de véritables organismes élémentaires aquatiques », avait dit ce savant dans une phrase qui condensait toutes ses idées, et dont on saisit la liaison cachée, mais solide, avec les vues de Darwin sur les premières origines des êtres. À l’explication physico-chimique, imposée par Lavoisier, encore soutenue par Liebig, la nouvelle école française substituait l’explication biologique. En d’autres termes, on croyait