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jusqu’alors que la vie était entretenue et détruite dans les tissus organisés par les réactions de la matière inorganique : Claude Bernard et Pasteur montraient tous les corps vivans soumis aux actions vitales d’une matière organique, participante de leur nature.

Ils réintégraient de la vie dans la vie, pour ainsi dire. — Chacun aperçoit la portée philosophique d’une pareille substitution. Elle atteignait dans une certaine mesure la conception mécanique de l’univers, qui semblait jusqu’alors confirmée par tous les progrès des sciences. Sans doute, les êtres rudimentaires à qui l’on nous rendait sont soumis eux-mêmes aux lois de la chimie organique ; ils ne suppriment pas les réactions chimiques, ils s’en font les agens : mécanismes animés, si l’on veut, à peine différens de la matière inanimée. Mais si peu qu’ils en diffèrent, ils apportent avec eux le grand principe inconnu, la vie. Ils sont de l’autre côté de la barrière qui divise le monde en deux parties, l’une où nous pouvons nous flatter de reproduire à notre volonté tous les phénomènes, l’autre où nous ne produirons jamais le phénomène initial. Si les corps animaux et végétaux n’étaient, comme on le croyait, que les résultantes d’affinités chimiques, et en quelque sorte des éprouvettes où les élémens de la matière inorganique se combineraient pour maintenir, transformer, supprimer la vie, le chimiste pourrait se promettre un pouvoir illimité sur ces corps. Il est ou sera probablement un jour maître absolu des élémens inorganiques, invariables ; il sait ou saura reproduire toutes leurs combinaisons : donc, si ces élémens sont les agens immédiats de la vie, il peut ou il pourra commander à la vie ; et, sinon en provoquer le naissance, du moins en imiter tous les phénomènes, puis les régir à son gré là où ils se manifestent spontanément.

Claude Bernard et Pasteur ont dissipé ce beau rêve. Nous pouvons connaître, et grâce au dernier nous pouvons maîtriser dans une large mesure les humbles organismes qui nous travaillent ; mais, si limités qu’ils soient, nous ne pouvons pas provoquer leur apparition, comme nous provoquons la combinaison des gaz, la formation des acides ou des sels. Le pourrions-nous, ils nous échapperaient encore, puisqu’ils portent en eux un devenir, toutes les évolutions possibles de l’être vivant. Et, pour le remarquer en passant, alors même que les partisans de la génération spontanée n’eussent pas été confondus à leur tour par Pasteur, l’espoir qu’ils avaient vu luire un instant, la création possible de la vie dans le laboratoire, ne les eût pas menés fort loin : cette vie leur aurait échappé par l’évolution. D’ailleurs leur prétendue découverte était ruinée d’avance par la notion même de l’évolution. Claude Bernard