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leurs croyances, celle peut-être qui a exercé sur leurs esprits l’empire le plus absolu, que, grâce aux dispositions de la tombe et au caractère du mobilier qui la garnit, la critique peut aspirer à découvrir et à restituer : c’est la religion de la mort, c’est l’idée que les vivans se faisaient de la condition posthume des amis et des parens dont ils confiaient la dépouille à la terre, c’est les rites des funérailles et le culte que l’on rendait aux défunts. Homme dit le poète,


Dove la storia è muta, parlan le tombe.


Ce langage de la tombe, il a été entendu et compris. Les Achéens de Mycènes, les Minyens d’Orchomène et les autres tribus de même race se représentaient, on n’en saurait douter, le mort comme continuant à vivre, dans le sépulcre, d’une vie aussi semblable que possible à celle que les hommes mènent sous le soleil, mais pourtant toujours menacée, toujours défaillante. On le logeait donc, revêtu de ses plus beaux habits et couvert de bijoux, dans un caveau où l’on mettait à portée de sa main ses armes, des vases remplis d’alimens et de boissons, tous les objets qui pouvaient lui être utiles ; on le désaltérait, on le nourrissait par le sacrifice, par celui que l’on célébrait dans la cérémonie des obsèques, par les offrandes qui, d’année en année, tant que durait la famille, se répétaient sur la sépulture. On en arrosait le sol du sang et de la graisse des victimes : c’était le seul moyen que l’on imaginât pour empêcher que ce disparu achevât de périr d’inanition dans la nuit de sa dernière demeure.

Cette solution de l’éternel problème est la première qui se soit présentée à l’esprit, dès que l’homme s’est élevé au-dessus de l’animalité, dès qu’il s’est assez dégagé de la barbarie initiale pour commencer à réfléchir et à s’interroger sur le mystère de sa destinée, devant une bouche qui vient de se fermer à jamais, au contact d’un corps d’où la chaleur se retire et dont les membres se raidissent. Pas plus que l’enfant, l’homme primitif ne s’explique cette brusque cessation de la parole et du mouvement, de cette vie qu’il sent déborder en soi et bouillonner dans la nature entière. Il n’arrive pas à concevoir la mort autrement qu’une sorte de demi-sommeil, avec des réveils intermittens, que comme une vie faible et inconsistante, qui, sous la terre, se continue, sinon toujours, au moins très longtemps, et que la piété des survivans peut prolonger presque indéfiniment, lorsqu’elle s’applique à ne laisser le défunt manquer de rien, à le maintenir dans des conditions qui se rapprochent autant que possible de celles