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Mais la confession fut amère au chevalier. La dame ne lui cèla aucune de ses nombreuses infidélités : elle a aimé ses pages et aussi certain neveu de son seigneur, cinq années de suite. Le faux confesseur boit l’aigre calice avec une bonne contenance, absout la pénitente, et s’en va tout mélancolique et méditant sa vengeance. À quelques jours de là, tout à coup, il accabla la dame d’injures si précises qu’elle vit clairement

Que il l’eust fete confesse.

Elle ne perd point la tête. « Je savais bien que le moine, c’était vous ! »

Ha ! mauvès home traitier,
Tu pris l’habit d’Ermitier
Por moi proyer à desloial ;
..........
Moult ne poyse par Saint Symon,
Que ne vous pris au chaperon,
Ne que ne vous deschirai tout.

Que ne lui a-t-elle conté de plus gros péchés encore, afin de le mieux punir de sa félonie ! Mais c’est fini, et pour toujours, entre elle et lui :

Je ne vous dois jamais amer.

Au fond, l’aventure est plutôt triste. Le chevalier a commis un sacrilège, par la raison que sa femme s’est confessée de bonne foi. Celle-ci ne lui pardonnera jamais sa supercherie. C’est en mentant qu’elle réussit à sauver à peu près son honneur. Le mari se voit odieux et se sent stupide. Et voilà une maison troublée pour toujours. Les compères du pays, qui n’ont pas le goût difficile, seront seuls à s’amuser de ce drame féodal :

Granz risées et granz gabois
En firent en Bessinois.

Boccace va réparer le point faible du fabliau. Il y met l’idée joyeuse que le trouvère n’avait point su imaginer et qui éclairera tout le conte italien : la femme, avant de s’agenouiller au confessionnal, avait reconnu les traits et la voix de son mari. Ce n’est plus alors qu’une confession pour rire. Il a voulu la tromper et c’est elle qui le trompera et sur l’heure, allégrement, avec une mine confite et des soupirs de contrition : par un faux aveu elle l’obligera à se faire l’innocent complice de sa rusée pénitente et l’artisan de sa propre infortune conjugale. Il était jaloux avec excès, ce riche marchand de Rimini ; sa femme était belle, fort éveillée, et il ne lui permettait point, à la maison, de regarder par la fenêtre. Il avait lu certainement son Francesco da Barbe-