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s’occupera de conclure des marchés, de négocier des transactions, de solliciter des privilèges et des dispenses, d’éviter ou de gagner des procès. En mainte rencontre il recourra aux bons avis et aux bons offices du conseiller François Tronchin. Le pauvre homme enterré à Ferney l’y fera souvent venir ; il y arrivera monté sur un bidet, il y dînera, il y jouera aux échecs, il y causera théâtre, et il repartira chargé de nombreuses commissions. Elles seront exécutées à merveille : on fait toujours bien ce qu’on aime à faire.

On peut tirer de la correspondance de Voltaire toute une philosophie de la vie, et l’un des articles de cette philosophie était que pour avoir, il faut donner. Il se servait de ses amis, mais il se croyait tenu de récompenser leur zèle. Il savait un gré infini à Robert Tronchin de faire fructifier « son magot, » et il le questionnait sans cesse sur les emprunts, les loteries, les tontines. Mais à son tour il lui rendait service. Si ce grand banquier, nous dit M. Henry Tronchin, était fort bien renseigné sur les opérations de finances, Voltaire ne l’était pas moins sur tout ce qui se passait dans le monde et le tenait au courant des événemens politiques. Comment payait-il François de ses peines ? Il s’intéressait à ses pièces, le conseillait, lui indiquait des retouches à faire. — « Je n’ai quitté ma Byzantine, lui écrit l’auteur des Comnènes, que lorsque mon rabot glissait sans mordre… Par moi-même je ne sais pas faire mieux. C’est vous seul, mon cher ami, que je veux pour juge ; tout ce que vous trouverez bon sera fait, et pour tout ce que mes forces ne pourront atteindre, je profiterai avec empressement et reconnaissance de vos cordiales prévenances. »

Non seulement il s’intéressait aux Comnènes, il entrait dans les plaisirs, dans les déconvenues, dans les contrariétés de son utile ami. Il prenait part à son chagrin d’avoir été battu dans une élection disputée, et lui prouvait que ce n’était pas uniquement dans ses propres affaires qu’il avait l’esprit de détail : « On s’y est bien mal pris, écrit-il à Robert, pour faire votre frère François syndic. On devait savoir que le noir Dupan partageait les voix : donc il ne fallait pas encore partager les voix opposées et se mettre trois ou quatre contre lui. Il fallait que les compétiteurs cédassent à François qui, combattant seul, aurait réuni la majorité en sa faveur, et François et la Tronchinerie auraient, à la première occasion, donné tout leur parti à ceux qui cette fois lui auraient donné le leur. Mais quand chacun tire à soi, on n’attrape rien. » Le conseil était bon, et c’est ainsi que les choses se passaient et se passent encore à l’Académie française. Les uns s’en plaignent, les autres s’en louent ; mais il est des cas où l’on ne se tire d’intrigue que par des expédiens, et les élections académiques ne sont pas les seules où, comme le disait sagement Voltaire, le parti qui tire tout à soi n’attrape rien.

Plus qu’aucun homme de son temps, il possédait le don de sortir