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aurait été le plus monstrueux. Il l’aurait été, s’il avait pu s’accomplir jusqu’au bout. Mais M. Jaurès méconnaissait, il affectait d’oublier la nature même de l’arbitrage, qui ne peut jamais être imposé aux parties, et qui doit être d’avance demandé par elles ou librement accepté. Il se portait fort pour les ouvriers de Carmaux qu’ils acceptaient M. Brisson pour arbitre et qu’ils s’inclineraient devant sa sentence quelle qu’elle fût ; mais personne ne parlait pour M. Rességuier, et personne ne pouvait le faire. Il y a trois ans, à propos d’une autre grève de Carmaux, celle des ouvriers mineurs, une situation en partie analogue à celle-ci s’était déjà produite. M. Clemenceau, pour dénouer le conflit entre ouvriers et patrons, avait proposé à cette époque, demandé, exigé, arraché l’arbitrage Comme M. Jaurès, il parlait au nom des ouvriers, mais il avait en face de lui, dans la Chambre même, le président du Conseil d’administration des mines de Carmaux, M. le baron Reille. Les deux parties étaient donc en présence, et l’accord avait pu se faire entre elles, séance tenante, sur l’acceptation de l’arbitrage. « Acceptez-le, disait M. Clemenceau à M. Reille, et tout sera fini. » M. Reille a accepté, et rien n’a été fini. Les ouvriers, on s’en souvient, une fois la sentence rendue, ont refusé de s’y soumettre. Ils ont manqué à la parole donnée par M. Clemenceau. Mais il faut rendre à celui-ci la justice que, dans un sentiment plus juste de la réserve que ses fonctions imposaient au président de la Chambre, ce n’est pas à lui, comme l’a fait M. Jaurès, mais au ministre de l’intérieur, président du Conseil, agissant d’ailleurs à titre privé et comme simple citoyen, qu’il confiait la mission de dénouer arbitralement le conflit. La proposition de M. Jaurès accentuait, aggravait, dénaturait celle de M. Clemenceau.

Au surplus, M. Jaurès pouvait-il se faire illusion sur la réponse de M. Rességuier si on lui proposait l’arbitrage ? Il savait fort bien qu’elle serait négative. Que voulait-il donc, sinon engager la Chambre dans une démarche sans issue, compromettre son président, fausser l’institution de l’arbitrage, tout cela pour jeter aux yeux des âmes simples un peu d’odieux sur M. Rességuier dont il escomptait le refus, sans tenir compte de ce qu’il y a de cruel dans ce jeu trop longtemps prolongé qui consiste, après avoir donné un encouragement de plus aux grévistes, à leur ménager une nouvelle et plus amère déception ? Le gouvernement n’a pas laissé la Chambre tomber dans le piège qui lui était tendu. Il a combattu et fait repousser l’arbitrage. Il a défendu tous ses agens. On a relevé contre quelques-uns d’entre eux un grand nombre de faits dont la plupart ont été démontrés inexacts, et dont quelques-uns seulement sont restés incertains. M. Leygues a promis de rechercher sur tous la vérité, bien qu’elle ne soit pas toujours facile à démêler. Les instructions qu’il avait données, et qu’il a lues à la tribune, avaient toujours été parfaites ; elles recommandaient sans cesse