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les tribunaux, l’annonce des candidatures, la discussion des lois dans les assemblées populaires passionnaient tout le monde. Les événemens extérieurs n’avaient pas moins d’intérêt pour eux : non seulement ils voulaient connaître ce que devenaient leurs légions qui combattaient en Espagne, en Afrique, en Grèce, mais il leur semblait utile d’être informés de la situation intérieure des pays suspects ou hostiles, de connaître, par exemple, qui l’emportait, de Démétrius ou de Persée en Macédoine, de Jugurtha ou d’Hiempsal en Numidie. Pour soutenir avec succès les guerres qu’ils avaient entreprises ou se préparer à celles qui les menaçaient, il leur fallait avoir l’œil ouvert sur le monde entier et savoir ce qui s’y passait.

Il est sûr qu’ils le savaient et que les événemens de quelque importance, même sans le télégraphe et le journal, arrivaient assez vite à la connaissance du public. Les historiens nous racontent que plusieurs fois les résultats de certaines batailles, qu’on attendait avec impatience, sont parvenus à Rome avant d’y être apportés par les messagers officiels : c’est que les nouvelles voyagent par des chemins qu’on ne peut pas toujours découvrir ; elles circulent mystérieusement de l’un à l’autre, et la parole, « qui a des ailes », selon l’expression du vieil Homère, les porte à travers d’immenses espaces, sans qu’on puisse dire précisément d’où elles viennent et par où elles ont passé. Pour rendre compte de cette propagation obscure et rapide, les anciens avaient imaginé une déesse aux cent yeux, aux cent oreilles, aux cent bouches, la Renommée (Fama), dont Virgile nous a fait le tableau : « Le jour, elle se tient aux sommets des édifices élevés, pour tout voir ; la nuit, elle parcourt le ciel pour tout raconter ; elle ne se repose jamais, aussi empressée à colporter le faux qu’à répandre le vrai. » Il est aisé de voir que cette allégorie renferme un assez grand fond de réalité.

Ces bruits que la Renommée sème dans l’air ne se perdent pas ; ils sont recueillis au passage par des gens qui les propagent en les amplifiant : ce sont les nouvellistes. Il n’y a plus guère de nouvellistes aujourd’hui : le télégraphe et le téléphone leur font une trop rude concurrence ; c’est une profession qui disparaît. Mais elle florissait chez nous au XVIIe siècle, et même après qu’on eut inventé les journaux. La Gazette, de Renaudot ne paraissait qu’une fois par semaine, les nouvellistes avaient sept jours d’avance sur elle, et ils en profitaient. On nous dit qu’ils se tenaient dans les jardins publics, soit au Luxembourg, soit aux Tuileries, sous les ormes de la terrasse qui borde la Seine. Ceux du Palais-Royal avaient la réputation de dire tant de mensonges que l’arbre sous lequel ils se rassemblaient en avait pris le nom