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d’Arbre de Cracovie[1]. Ils formaient une corporation qui n’était pas sans importance ; pour quelques-uns d’entre eux c’était un métier qu’ils exerçaient en ville pendant la journée, et dont ils se faisaient un revenu. On a trouvé, dans un livre de comptes du duc de Mazarin, la mention suivante : « Au sieur Portail, pour les nouvelles qu’il fournit toutes les semaines : pour cinq mois, à dix livres par mois, cinquante livres. »

Dans une ville comme Rome, qui, selon Tacite, était curieuse et bavarde, — in civitate sermonum avida et nihil reticente, — il ne devait pas manquer de nouvellistes. Il y en avait qui se réunissaient au forum, tout près de la tribune, ce qui les avait fait appeler Subrostrani. De là partaient les bruits les plus sinistres : on y annonçait la mort de gens qui se portaient fort bien et la défaite d’armées qui n’avaient pas combattu. Les nouvellistes sont, on général, des gens d’humeur sombre, à qui rien ne plaît, des effrayés qui mettent les choses au pire. Ceux de Rome trouvaient toujours que les affaires étaient mal conduites, que les généraux ne savaient pas leur métier, et ils se permettaient de leur proposer des plans de campagne. Tite Live fait dire à Paul-Emile, au moment où il partait pour la Macédoine : « Il y a des gens qui, dans les réunions du forum (in circulis), veulent nous apprendre où il faut camper, les places dont nous devons nous rendre maîtres, par quel chemin il convient de pénétrer dans le pays ennemi, comment on pourra s’approvisionner, quand il sera le plus utile d’entrer en action, ou s’il vaut mieux se dérober ; et non seulement ils conseillent ce qu’il faut faire, mais quand on ne fait pas ce qu’ils ont conseillé, ils se fâchent. » Et pour satisfaire leur curiosité, cet homme d’esprit leur propose de les emmener avec lui ; il s’offre à leur payer le passage, à leur fournir un cheval, à les placer au premier rang pour leur donner le plaisir de voir la bataille de plus près. Sous l’Empire, les mécontens ne s’en tiraient pas à si bon compte et avec quelques railleries. Le forum était surveillé par des soldats habillés en bourgeois, qui parcouraient les groupes, excitant les gens à parler, donnant l’exemple d’attaquer l’empereur et son gouvernement. Quand ils avaient ainsi délié les langues, ils prenaient les noms des bavards et allaient les dénoncer à l’autorité : c’est le commencement des agens provocateurs.

On pense bien que les gens importans de Rome ne se commettaient pas dans ces groupes en plein air et qu’ils se gardaient d’aller discourir sur la politique au pied de la tribune ; ils en

  1. L’arbre de Cracovie fut abattu, à la fin du siècle dernier, quand le duc d’Orléans fit construire les galeries latérales du Palais-Royal. Ce fut un événement, et il fut chanté par les poètes. On peut voir, dans la Correspondance de Grimm, des vers qu’inspira sa disparition.