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haranguait la foule ; il lui emprunte aussi celle d’un chien fidèle qu’on ne put pas arracher du cadavre de son maître qu’on avait tué et jeté dans le Tibre, et celle encore de cet admirateur passionné d’un cocher de la faction rouge, qui, ne voulant pas lui survivre, se jeta dans le bûcher où l’on brûlait son corps, exemple de dévouement et de passion qui remplit de jalousie les autres factions. C’est aussi d’après la même source qu’il raconte que, sous le huitième consulat d’Auguste, un habitant de Fæsulæ vint sacrifier au Capitole avec ses huit enfans, ses vingt-huit petits fils et huit petites-filles et ses dix-neuf arrière-petits-enfans ; il est probable que cette historiette y fut insérée par l’ordre exprès de l’empereur qu’inquiétait la dépopulation de l’Italie et qui aimait à rendre hommage aux familles nombreuses. Ajoutons qu’on y trouvait aussi la mention des mariages importans, des naissances et des décès, sans compter celle des divorces, qui devait occuper une grande place, car, nous dit Sénèque, il y en avait à Home au moins un par jour, nulla sine divortio acta sunt. Enfin le même Sénèque laisse entendre que quelques vaniteux s’en servaient à l’occasion pour se faire des réclames quand il dit : « Pour moi, je ne mets pas mes libéralités dans la gazette, beneficium in acta non mitto. »

Sous cette forme, et avec les développemens qu’ils avaient reçus, les anciens acta sénatus et populi, que César avait créés, devenaient méconnaissables. Aussi semble-t-il qu’on ait éprouvé le besoin de modifier le nom qu’ils portaient. On les appelle d’ordinaire acta diurna populi romani. Ce nom, nous avons le droit de le traduire par celui de Journal de Rome[1].


IV

Le succès du Journal de Rome ne fut pas douteux un instant. Dès le premier jour nous le voyons répandu partout ; tous les grands personnages que leurs fonctions retiennent dans les provinces se le font adresser. « Je sais, dit Cicéron à tous ses amis, que vous recevez le journal, — acta tibi mitti certo scio, — acta omnia ad te arbitror perscribi. — Vous devez savoir tout ce qui se passe par les lettres de ceux qui se sont chargés de transcrire le journal pour vous. » Et lui-même ne néglige pas ce moyen d’être informé quand un sort qu’il déplore l’exile pendant un an dans le gouvernement de la Cilicie. « J’ai le journal jusqu’aux nones de

  1. D’autant plus que le mot de journal est sorti de l’adjectif diurnalis, qui vient lui-même de diurnus. — On trouvera la collection la plus complète de ce qui nous reste du Journal de Rome dans l’opuscule de M. Hübner intitulé : De senatus populique romani actis, Leips., 1860.