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hasarder des suppositions extra-scientifiques sur ce qu’il peut entrer d’élémens pathologiques dans une œuvre littéraire.

Il eut le temps de s’alcooliser tout doucement, n’ayant commencé à écrire pour le public qu’en 1809. Jusque-là, il avait toujours tâtonné dans des voies qui n’étaient pas la sienne. On lit dans son Journal, à la date du 16 octobre 1803 : « Suis-je né peintre ou musicien ? Il faut que je pose la question au président *** ou au grand chancelier ; eux le sauront. » Il demandait la réponse, avec persévérance, à ses crayons ou à son papier à musique, et jamais elle n’était concluante. Il avait le désir de faire des portraits, mais ses dessins, toujours vivans et spirituels, tournaient toujours à la caricature, qu’il le voulût ou non ; aussi les cliens ne venaient-ils point. En musique, il a été un compositeur fécond et varié. Il a écrit de tout et en abondance : opéras, symphonies, sonates, airs de chant, musique de chambre, musique d’église, ouvertures, et ce n’était pas mauvais. Il manqua pourtant mourir de faim, faute d’éditeur, le jour, tant souhaité, où il fut réduit à l’art pour vivre.

C’était après Iéna, la date fatidique du relèvement de l’Allemagne. En toutes choses, avec ce peuple, il faut dire : Avant Iéna, après Iéna. Comme les leçons du malheur leur ont profité ! Comme ils ont été eux-mêmes une leçon inoubliable pour les autres ! Le patriotisme naquit en un jour ; poètes et écrivains parlèrent aux vaincus, dans un langage enflammé, « de la nationalité allemande, d’une patrie commune à tous, de la réunion des races chrétiennes de la Germanie, de l’unité de l’Allemagne[1], » et la nation se leva en masse. Les folies romantiques et les paradoxes de salon s’évanouirent comme une fumée, cédant la place aux pensers graves et aux haines vigoureuses. Un souffle religieux passa sur les âmes : « La mauvaise fortune, dit encore Henri Heine, enseigne à prier, et vraiment jamais elle n’avait été si grande parmi nous, et par conséquent le peuple plus enclin qu’alors à la prière, à la religion, au christianisme. »

Quelques Allemands, et non des moindres, auxquels leurs compatriotes ne l’ont jamais pardonné, demeurèrent pourtant insensibles aux désastres de la patrie, étrangers au glorieux mouvement qui les suivit. Hoffmann fut du nombre ; il dépassa Gœthe en indifférence, et ce ne fut pas sa faute si la bataille d’Iéna eut pour lui les conséquences les plus graves, si elle a été cause que nous possédons les Contes fantastiques.

Il avait été nommé « conseiller de régence » dans la ville de

  1. Henri Heine, De l’Allemagne.