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III

Et d’abord, une pièce de ce théâtre, en vers ou en prose, est toujours amusante ; elle amuse à la représentation ; elle amuse même à la lecture. Le plaisir qu’on y goûte ressemble à celui que donnerait un roman dextrement conduit, sans trop ni trop peu de complications d’intrigue, avec un déroulement de péripéties savamment combinées selon les principes de la véritable narration. Quand on l’a finie, il ne vous en reste évidemment rien ; vous avez passé une heure ou deux. C’est médiocre comme résultat, si vous regardez les choses d’un peu haut ; c’est énorme, si vous n’envisagez que la question du succès matériel.

À l’instinct de la composition, à l’art de mettre en valeur jusqu’aux moindres élémens du sujet choisi, Émile Augier joignait certains dons plus particulièrement professionnels et dont l’effet manque rarement sur les mille ou douze cents auditeurs d’une salle de spectacle. Personne, ni M. Victorien Sardou, ni M. d’Ennery lui-même, n’a su amener avec plus d’adresse, et en dissimulant mieux ses moyens, les scènes capitales autour desquelles pivote tout l’intérêt d’un drame ou d’une comédie ; personne n’a été plus habile à enchâsser dans ces scènes un mot ou un incident qui fasse coup de théâtre, en resserrant dans l’intervalle de quelques secondes toute l’émotion du public.

Plusieurs spécimens de ce procédé sont célèbres. On connaît, dans les Lionnes pauvres, le « Bandit ! c’était toi ! » de Pommeau, au moment où il découvre que son ami le plus cher, son protégé, presque son enfant, est l’amant de sa femme ; ou bien, dans le Fils de Giboyer, l’éclat hardi par où Fernande Maréchal dénoue la situation et oblige son père à accepter pour gendre Maximilien. Les mots à panache héroïque ne sont pas moins fameux. À propos du « Maintenant, va te battre » d’Antoinette de Preste, quand, amoureuse et jalouse de son mari, soucieuse néanmoins de lui conserver son honneur, elle le pousse à un duel pour une de ses maîtresses ; à propos du « Efface ! » de Bernard, dans les Fourchambault, quand, souffleté par son frère naturel, il lui tend sa joue à embrasser ; à propos de quelques formules du même genre flamboyant, le nom de Corneille a été rappelé. Du Corneille pour les snobs, déclarent dédaigneusement les délicats… mais enfin, du Corneille.

Et ce n’est pas tout. À ces multiples causes de succès, une encore au moins doit être ajoutée, et non des plus négligeables, à savoir, l’emploi fréquent des discours transportés de la chaire