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« sur l’amour qui est la loi naturelle, dans le mariage qui est la loi sociale[1] », Emile Augier ne s’explique nulle part. Il n’invoque jamais clairement d’argumens politiques, encore moins d’argumens religieux, mais plutôt des motifs de convenance, de bonne tenue mondaine, et aussi, et surtout, des raisons d’intérêt personnel bien entendu.

Il avait écrit une fois, à propos des spéculations financières, ce distique assez plat :


Vous comprendrez trop tard, imprudens que vous êtes,
Que le meilleur calcul est encor d’être honnêtes[2].


Il établira de même, avec une sorte de cynisme naïf, que, en matière de spéculations sentimentales, la plus avantageuse règle de conduite, le meilleur calcul, c’est encore de ne point se compromettre en des liaisons irrégulières.


Il n’est pas de bonheur hors des routes communes[3].


Et pour confirmer son aphorisme, il appuiera lourdement sur les ennuis des retours de passion, sur les tracas qui suivent les fièvres clé la première heure. Toutes les conversations de Sergine et de la marquise dans les Effrontés ne tendent qu’à faire ressortir les tristesses et les misères des situations fausses. Gabrielle et Paul Forestier ne sont que le développement du même thème, en cinq actes et en vers. Seulement, l’auteur ne s’aperçoit pas que les armes dont il use en faveur de sa thèse peuvent aussi bien servir contre elle.

Au fond, d’ailleurs, il est toujours illusoire de chercher dans ses idées des déductions suivies. On qualifierait sa philosophie d’un mot en disant qu’elle fut le reflet de tous les préjugés plus ou moins durables, plus ou moins contradictoires et plus ou moins dignes de respect qu’adopta l’opinion courante de son temps ; nous prendrons naturellement ici le terme préjugé dans son acception neutre de croyance bien ou mal fondée, mais établie sans examen préalable sérieux. Augier, du reste, ne dissimulait pas ses procédés d’investigation doctrinale : « Le monde n’est pas si bête et si méchant que nous autres, pauvres diables, nous nous plaisons à nous le figurer. Je suis convaincu qu’à son insu ses iniquités apparentes cachent toujours une logique profonde[4]. » Cette logique-là, profonde peut-être, mais obscure et

  1. Les Fourchambault, acte IV, sc. VIII.
  2. La Jeunesse, acte II, sc. V.
  3. Gabrielle, acte V, sc. V.
  4. Un beau Mariage, acte II, sc. XIII.