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LA COUR D'ASSISES DE LA SEINE

I.
LE JURY

S’il est vrai, comme le dit Montesquieu, que les règles à tenir dans les jugemens criminels « intéressent le genre humain plus qu’aucune chose qu’il y ait au monde », un pays qui n’a pas foi dans sa procédure pénale doit être un pays gravement troublé.

Tel est peut-être le cas de la France, où le code d’instruction criminelle, amèrement critiqué, inspire à bien des esprits un sentiment de défiance. Ce sentiment ne pouvait manquer d’atteindre les magistrats qui appliquent ce code, et qu’on a parfois rendus injustement responsables de tous les défauts de la loi. Un désaccord a paru s’établir ainsi entre l’esprit public et la magistrature, et quand ce symptôme est aperçu dans une nation où, par l’extension progressive des pouvoirs du ministère public, l’Etat semble avoir absorbé l’action judiciaire, il est bien difficile que le gouvernement n’ait pas à souffrir d’un tel dissentiment entre le public et les juges. Il est difficile aussi qu’un grave préjudice moral ne résulte pas pour cette nation de l’habitude de railler et de battre en brèche la loi et ses représentans.

Un pays maître de lui-même doit-il indéfiniment subir ses lois avec des alternatives de scepticisme et de colère, au lieu de les renouveler dans un effort d’énergie créatrice ? Nous ne le croyons pas, et le moment semble venu de chercher si, dans ce flot de récriminations qui, depuis si longtemps, bat le mur ébréché de notre code d’instruction criminelle, certains principes n’émergent pas, lumineux, aperçus de tous, et de nature à