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soutenir l’édifice des lois nouvelles. Si l’on parvenait à dégager de tels principes, ayant des racines profondes dans l’esprit national, le code qui les exprimerait, malgré des difficultés de détail et des imperfections certaines, serait durable et respecté.

L’Angleterre, à ce point de vue, nous donne un admirable exemple. Après l’histoire judiciaire la plus troublée et la plus sombre, ce pays a su conquérir des juges qu’il vénère et des lois auxquelles il accorde sa confiance la plus complète. Ces lois, pourtant, ne sont pas plus qu’aucune loi humaine un modèle de perfection ; mais elles reposent sur quelques principes salutaires auxquels la nation est inébranlablement attachée. Il n’est pas d’Anglais dans le monde qui ne soit convaincu qu’il est indispensable pour la Grande-Bretagne de posséder des magistrats d’une indépendance absolue, d’une impartialité visible, d’une capacité notoire, et qu’il est non moins essentiel que l’accusé, depuis la constatation du crime jusqu’au jugement, soit garanti et protégé de toutes manières, par l’assistance d’un conseil, par le grand jour d’une enquête toujours publique et contradictoire ; qu’il faut enfin, si l’accusé est reconnu coupable, qu’il soit sévèrement puni et qu’il exécute intégralement sa peine, sans faveur ni faiblesse. Ces principes inattaqués soutiennent tout l’édifice.

Aperçoit-on chez nous quelques tendances analogues qui puissent guider le législateur dans l’œuvre tant de fois reprise et délaissée qui s’impose à l’attention du Parlement ? Peut-être ; et notamment en ce qui concerne les premières opérations de la procédure pénale, celles qui consistent à réunir les preuves de la culpabilité, un courant d’opinion se forme sous nos yeux. La protestation contre le secret de l’instruction semble générale, et ce serait, à notre avis, marcher d’accord avec le sentiment public que de faire disparaître de notre code cette pratique surannée, aussi dangereuse pour le juge que pour l’accusé ; cette pratique qui compromet les gouvernemens sans servir la société, et qui, suivant l’expression du grand jurisconsulte anglais Stephen, « empoisonne la justice à sa source ».

Cette question semble assez mûre ; la Constituante, en 1789, l’avait résolue dans ces beaux décrets optimistes qui allaient avoir de cruels lendemains. Elle avait créé l’information publique et contradictoire : douze ans après, le 7 pluviôse an IX, le secret était rétabli. La procédure pénale entrait avec l’Empire dans la période (où nous sommes encore) des compromis bâtards, souvent contradictoires, entre les principes de la liberté et les prétentions du pouvoir personnel. S’il est vrai, comme l’a dit M. Tarde, « que chaque âge reflète visiblement dans la procédure criminelle la foi fondamentale qui l’anime », il est bien naturel que