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dans les lettres. Et il y aurait là, pour nous aussi, une excellente occasion de jeter un coup d’œil d’ensemble sur la belle carrière de l’éminent écrivain, si la diversité même des sujets qu’il a traités ne nous engageait plutôt à considérer d’abord séparément quelques-uns de ses ouvrages principaux, et en particulier celui de tous où il parait avoir mis le plus d’amour et de soin, ses Études littéraires sur les Poètes anglais du XVIIe siècle.


« Je me suis proposé, nous dit M. Gosse dans la préface de ce livre, de faire pour quelques poètes secondaires du XVIIe siècle ce que la critique moderne a fait, sur une échelle plus vaste, pour Shakspeare, Milton, et Dryden. Ces grandes figures ont été isolées de leur entourage, et l’on s’est attaché à l’étude de leurs mérites propres, sous les points de vue divers de la biographie, de l’histoire, et de l’esthétique. Mais jamais encore une entreprise semblable n’a été tentée avec suite pour les poètes de second ordre, contemporains de ces trois grands hommes ; et cependant c’est dans ces figures d’une originalité moins saillante que se marque le plus clairement le progrès de l’histoire littéraire. Aussi ne m’a-t-il point semblé sans intérêt de projeter sur Cowley et sur Otway, par exemple, un peu de cette lumière que nous cherchons à projeter sur Milton ou Dryden. Et c’est pourquoi j’ai essayé de faire de chacune des dix études qu’on va lire une sorte de biographie critique en miniature, formant un tout complet, et se rattachant pourtant de quelque façon à celles qui la précèdent et à celles qui la suivent.

On ne saurait en effet mieux définir le caractère particulier de ces dix études. Au premier abord, le livre de M. Gosse apparaît comme une galerie de portraits, sans autre bien entre eux que d’avoir tous pour modèles des poètes, — la plupart assez oubliés, — du XVIIe siècle. On croit lire une manière d’imitation anglaise des Grotesques de Théophile Gautier ; une imitation d’ailleurs la plus adroite du monde, car le style de M. Gosse, s’il n’a point l’adorable couleur de celui de Gautier, en rappelle du moins l’élégance et la mobilité ; et il faut bien avouer, sans l’ombre de parti pris, que les personnages qu’il nous présente, Thomas Lodge, Robert Herrick, Richard Crashaw, Etheredge, Otway, et l’Incomparable Orinda, ont par eux-mêmes un autre relief que les petits poètes français de la même époque. Dévots ou athées, tempérans ou ivrognes, chastes ou débauchés, en tout ils sont excessifs, avec une violence, une ardeur fiévreuse, une excentricité naturelle et constante qui suffiraient à justifier M. Gosse de la peine qu’il a prise pour nous les dépeindre.

Mais nous nous apercevons bientôt, en parcourant cette galerie de portraits, qu’un fil caché les rejoint l’un à l’autre, qui leur donne toute la valeur d’un tableau d’ensemble de la vie et des mœurs littéraires anglaises au xvir3 siècle. Depuis Thomas Lodge jusqu’à Otway, c’est ce