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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 novembre.


Il semble que plus de quinze jours se soient écoulés depuis notre dernière chronique, non pas que des événemens considérables aient eu lieu depuis lors, mais parce qu’un changement très caractérisé s’est produit dans l’orientation de notre politique intérieure ; — et, qu’à l’extérieur aussi, la situation s’est, sur quelques points, renouvelée. La constitution chez nous d’un ministère radical, au dehors le développement de la question arménienne et le discours que lord Salisbury a prononcé, le 10 novembre, au banquet du lord-maire, ont fait de la quinzaine qui s’achève une des plus importantes que nous ayons traversées depuis longtemps. Aucune question, à la vérité, n’y a été résolue, mais combien ont été soulevées !

Nous avons raconté dans quelles conditions le ministère de M. Ribot est tombé. Y avait-il lieu de lui substituer un ministère radical ? Sur ce point, les esprits sont restés divisés. Pour beaucoup, et nous en sommes, cette obligation ne s’imposait en aucune manière. Les radicaux, grâce à des coalitions passagères, tantôt avec la droite, tantôt avec les mécontens de tous les partis, avaient mis en minorité plusieurs gouvernemens modérés ; mais eux-mêmes n’ont jamais eu la majorité. Ils ne l’ont pas, ils ne la conquerront pas. La base parlementaire sur laquelle ils s’appuient est des plus étroites, et tout fait croire qu’elle est destinée à se rétrécir chaque jour davantage. C’est une démonstration qui n’avait peut-être pas besoin d’être faite ; on en a jugé autrement, soit ! Laissons à l’événement le soin d’achever la démonstration. Il faut bien reconnaître que le parti modéré, quoique le plus nombreux, avait éprouvé depuis deux ans tant de déceptions et de mésaventures que si ses forces numériques n’étaient pas entamées, ses forces morales avaient grandement besoin d’être retrempées dans une épreuve régénératrice. La chute successive de plusieurs ministères qui l’avaient plus ou moins exactement représenté au pouvoir l’avait un peu découragé : il se demandait s’il serait plus heureux dans une nouvelle expérience, faite à peu près dans les mêmes conditions que les précédentes. A quatre reprises différentes, les radicaux avaient réussi à renverser les ministères modérés,