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réglementaires auxquelles le préfet de la Seine, M. Poubelle, a, sans le vouloir, donné son nom.

Trois ordres de ramasseurs se disputent le contenu de ces boîtes : le placier, qui jouit, par une entente avec les concierges, de leur primeur, les vide sur une toile lui appartenant, en tire les matières utilisables, puis reverse les dédaignées dans le récipient qu’il dépose sur la voie publique. Le coureur, moins favorisé, les fouille à son tour avant le passage du tombereau municipal. Enfin le vingt-et-un sous, garçon juché sur la voiture, trouve encore à faire d’un œil perspicace un tri hâtif ; tout en vidant les boites, il met à part les rebuts qui l’ont, séduit. Tous ces débris se retrouvent chez le maître chiffonnier, auquel ils sont vendus au poids, en salades, après un classement toujours sommaire et parfois un peu frauduleux. Ce premier intermédiaire les soumet à un nouveau crible, puis les adresse aux négocians de gros qui centralisent seulement quelques spécialités ; ici la marchandise vérifiée, nettoyée, manutentionnée à la vapeur, est l’objet de soins délicats dans des ateliers éclairés à la lumière électrique.

Expédiés en balles aux diverses usines, selon les genres de papier qu’ils doivent servir à confectionner, les chiffons sont, à leur arrivée, distribués à des femmes qui procèdent à une classification définitive suivant la nature ; — lin, coton, chanvre ou jute ; — suivant la couleur, — le coton rouge, par exemple, engendrera le buvard rose, — et suivant le degré de propreté. Debout devant un établi sur lequel est fixée une laine de faux, les ouvrières, la tête couverte d’une marmotte, coupent en morceaux réguliers de la grandeur de la main ces lambeaux de draps, ces ex-mouchoirs, ces restans de blouses, en arrachent les boucles ou boulons de métal, les portions de laine ou de cuir, et jettent leur ouvrage dans des paniers dont le contenu vaudra de 60 francs à 2 francs, mais vaudra toujours quelque chose. Les œillets et les baleines, les lacets et les agrafes, se revendent ceux-ci un franc ou cinquante centimes, ceux-là trois centimes le kilo. Ce travail préliminaire est ce qu’on appelle le délissage. Pour purifier l’atmosphère créée par ces chiffons secoués, on emploie un ventilateur puissant qui amène au plafond une grande quantité d’air, lequel ne trouvant d’issue qu’au ras du sol, sous les établis, sort en entraînant au dehors toutes les poussières en suspension qu’il chasse dans des cheminées verticales. L’été on insuffle de l’air froid, l’hiver il est chauffé au moyen d’un condenseur.

Après le délissage le chiffon passe au blutage, dans un tambour de toile métallique, armé de bras et de pointes de fer, qui le déchiquette plus finement ; puis au lessiveur, sorte de marmite