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on réserve dans ce cœur de la France qui, entre le sillon et l’enclume, ne connaît ni paresse ni repos.

Si nous savons lire l’histoire de notre pays et de notre siècle, nous devons reconnaître que la France est une ruche laborieuse bien plus occupée de son travail que de ses révolutions politiques ; assez indifférente aux querelles des partis, elle n’a rien vu jusqu’ici dont la défense méritât ses peines.

L’heure est venue où il ne s’agit plus ni de formes constitutionnelles, ni de politique dans le sens ordinaire du mot, ni de ces débats dont il n’a cure, mais de ce que le Français met au-dessus de tout, de sa terre et de ses économies.


II. — LE SOCIALISME

Le socialisme attaque directement tout cela. Ce n’est plus une vague théorie, reléguée dans des livres ou sortant de la brume nuageuse des universités allemandes ; ce n’est plus le vieux Proudhon et ses sophismes, ce n’est plus Lassalle ou Karl Marx : c’est un corps de doctrine qui prétend s’emparer de la France pour tout détruire, tout refondre et tout résoudre.

Végétant sans bruit, parlant sans succès depuis quelques années, il a trouvé des voix retentissantes et de jeunes audaces qui lui ont donné tout d’un coup une apparence de vie. Servi par des journaux rédigés avec autant de talent que de violence, le socialisme a compris que pour créer des courans dans une démocratie il fallait hausser le ton et entretenir sans se lasser une lutte perpétuelle : aux violens, il donne le spectacle de foyers d’incendie qu’il ne cesse d’alimenter ; aux simples, aux foules, il annonce une doctrine. Procéder à la manière des religions a toujours été la méthode des grands révolutionnaires : ils savent que le jour où les âmes seront conquises, il n’est pas de dévouement, pas de sacrifice que le chef ne puisse attendre de ses troupes. Toute la force des socialistes vient de ce qu’ils ont fait croire à un certain nombre de malheureux que leur cause était celle de la liberté et de la prospérité du peuple.

Changeant de forme et de langage suivant les milieux, tantôt le socialisme s’enveloppe de phrases sonores et obscures, tantôt il se borne à un seul article de son programme habilement choisi pour exciter les esprits. Ici il ne parlera que de morceler les grandes propriétés, faisant croire au petit propriétaire qu’il lui laissera la jouissance du sol ; là il s’élèvera contre les abus du patronat au nom de la liberté du travailleur, n’avouant pas que le collectivisme s’apprête à faire de l’Etat le patron universel.

Ce qui assure la perte à bref délai du socialisme s’il