Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/64

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

gens, qui savent combien il faut de temps et de peine pour apprendre un petit métier, et qui sont bien confus de se voir tout à coup et sans aucun apprentissage chargés de faire le plus grand des métiers sans doute : celui qui consiste à rendre la justice, à distribuer les peines, la vie, la délivrance et peut-être la mort. Que cherchent donc ces mines inquiètes ? Elles cherchent un maître, elles veulent un enseignement. Ce sont mines de gens qui sentent le besoin de se mettre à l’école, et réclament un instructeur.

Il faut avoir vécu auprès des jurés pour se rendre compte de l’importance qu’acquiert dans leur milieu l’homme « informé », autorisé à un degré quelconque à enseigner « ce qu’il faut faire, » à dire « ce qui va se passer. » L’ancien juré, par exemple, celui qui a déjà « fait une session, » prend une autorité incroyable. Heureux les jurés, heureuse la justice, si ce vétéran n’est pas un sot pourvu de faconde, qui va éblouir ses collègues et les conduire avec éclat à de médiocres sentences ! Tout est perdu quand le jury « possède un orateur ! » Car le propre des gens inexpérimentés qui veulent se mettre en apprentissage est souvent de choisir l’école à l’éclat de l’enseigne, au tapage du professeur.

« Mais, dira-t-on, c’est le débat public qui va éclairer le juré ; c’est ce débat qui sera son école et qui satisfera son légitime besoin d’apprendre. » N’allons pas aussi vite. Nous verrons tout à l’heure si dans chaque affaire déterminée l’enquête orale peut suffire à instruire les jurés.

Nous les examinons à ce moment où, à peine constitués, ils sentent le louable désir d’étudier leur métier de juge, songeant à l’affreuse nécessité de tout apprendre en une quinzaine, et de mettre en même temps en œuvre les notions qu’ils vont acquérir. De tous côtés ils regardent, ils s’informent. Leurs yeux rencontrent d’abord l’Instruction « affichée en gros caractères dans le lieu le plus apparent de leur chambre. » Ils lisent ce texte, ils le dévorent. Il faut le reproduire tout entier.


La loi ne demande pas compte aux jurés des moyens par lesquels ils se sont convaincus ; elle ne leur prescrit point de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve : elle leur prescrit de s’interroger eux-mêmes dans le silence et le recueillement, et de chercher dans la sincérité de leur conscience quelle impression ont faite sur leur raison les preuves rapportées contre l’accusé et les moyens de sa défense. La loi ne leur dit point : Vous tiendrez pour vrai tout fait attesté par tel ou tel nombre de témoins ; elle ne leur dit pas non plus : Vous ne regarderez pas comme suffisamment établie toute preuve qui ne sera pas formée de tel procès-verbal, de tant de témoins ou de tant d’indices ; elle ne leur fait que cette seule question, qui renferme toute la mesure de leur devoir : Avez-vous une intime conviction ? — Ce qu’il est bien essentiel de ne pas perdre de vue, c’est que toute la délibération du jury porte sur l’acte