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importait par-dessus tout. Salimbene en raconte de bien plaisans, avec une touchante sincérité ; il écrit même cette ligne qui nous révèle tout un monde : « En l’an 1233, sous Grégoire IX, les frères mineurs et les prêcheurs s’entendirent sur les miracles à faire au temps des fêtes, de Pâques. »

C’est ainsi que la fraude, l’industrieux charlatanisme et, par conséquent, l’hypocrisie envahirent et gâtèrent cette Église italienne que François d’Assise avait cru purifier par l’amour et rajeunir par la liberté. Bientôt les chrétiens austères se méfièrent du moine errant, du sermonnaire d’occasion, du confesseur trop empressé, de l’ermite trop mystérieux. Dans le Fiore, imitation florentine de notre Roman de la Rose, Falsembiante laisse soupçonner, sous son noir manteau, toute une floraison de péchés capitaux. Les fidèles guettèrent l’hypocrite avec le zèle que l’Église mettait à rechercher l’hérétique. Nous avons vu Barbarino défendant aux veuves d’entr’ouvrir aux clercs la porte de leurs logis. Les gestes trop chargés d’onction, des roulemens d’yeux trop pathétiques, trop de larmes dans la voix rendirent suspects les prédicateurs. N’oublions pas, d’ailleurs, qu’ici il s’agit surtout de Florence ou de l’Italie supérieure, nullement de Naples. C’est un Romagnol, Benvenuto d’Imola, le commentateur de Dante, qui écrit : « J’ai vu un illustre hypocrite qui, devant prêcher, dès le matin, la passion du Seigneur, but du malvoisie en abondance et ainsi sa malice se répandit en gémissemens et en larmes, et il provoqua des milliers d’hommes à pleurer avec lui et, par ce stratagème, il extirpa en peu de temps beaucoup d’argent avec lequel, plus tard, il acheta un bon évêché, convertissant en simonie le gain de l’hypocrisie. »

Dante ne pouvait prendre qu’au tragique l’hypocrisie religieuse. C’est une des plus sombres visions de son enfer, cette longue procession de fantômes chargés de chapes de plomb doré, le capuchon dominicain rabattu sur le front, les yeux louches, qui se traîne lente, interminable, muette, dans le brouillard, les hypocrites farouches, méchans, continuateurs des Pharisiens et du pontife Caïphe. Boccace nous réserve une satire plus gaie. Le miracle de saint Henri de Trévise semble détaché de la chronique de Salimbene. Cet Henri, un Allemand, était un brave homme, mort en odeur de sainteté. Quand il rendit l’âme, les cloches de Trévise sonnèrent toutes seules. Sur son tombeau, dans la cathédrale, les aveugles, les boiteux et les sourds s’entassaient dévotement. Tout allait bien, quand trois Florentins, bouffons de cour, Stecchi, Martellino et Marchese, passant par Trévise, s’avisèrent de se divertir aux dépens du saint. Ils quittèrent leur hôtel-