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lexie, et, dans un endroit écarté, Martellino se contrefit de la tête en bas : yeux, bouche, cou, dos, bras et jambes, tout se mit de travers : imaginez Quasimodo. Soutenu par ses deux acolytes, il se fraya un chemin à travers la foule qui criait : « Place ! place ! » et, dans l’église même, il fut mollement couché par des gentilshommes sur la pierre miraculeuse. Le miracle ne se fit pas attendre morceau par morceau, Martellino se redressa, aux cris de bénédiction de l’assistance. Malheureusement, se trouvait là un quatrième Florentin qui reconnut notre homme, dès qu’il eut repris sa forme primitive, et, sans mauvais dessein, vendit la mèche. La foule, furieuse, se jeta sur le miraculé, l’accabla de coups et le traîna hors du saint lieu, pour le mettre à mort. Stecchi et Marchese suivaient criant : « À mort ! » comme les autres et ne sachant comment sauver leur ami. Mais ils étaient gens de ressources. Marchese aperçoit les sbires de la Seigneurie, court à eux, et montrant le dolent Martellino : « Ce coquin m’a coupé ma bourse où il y avait cent florins d’or. » Les sergens s’empressent de tirer, non sans peine, le faux estropié des griffes trévisanes ; tous les Trévisans de suivre, en criant : « À moi aussi il a coupé la bourse ! » On le mène au juge du podestat. Celui-ci est fort en peine du cas de ce voleur universel, et, pour s’éclaircir l’esprit, il fait appliquer Martellino à un engin de torture. Cela allait de mal en pis. Mais le Florentin n’était point un sot. « Seigneur, dit-il au juge, demandez à chacun de ces messieurs depuis combien de jours je lui ai coupé la bourse. » « Huit, six, quatre, » répondent les faux volés. « Seigneur, faites rechercher à la police, sur le registre des étrangers, depuis combien de jours je suis à Trévise. Interrogez l’hôtelier, mais ne me laissez pas massacrer par ces gens-là. » Déjà Marchese et Stecchi couraient à l’hôtellerie. L’hôte les conduisit à un certain Sandro Agolanti, familier du podestat, qui consentit à leur venir en aide. Le podestat était, par bonheur, un seigneur aimant à rire, que tout ceci divertit fort et qui renvoya Martellino absous. Ce fut, sans aucun doute, son dernier miracle.

Martellino est à peine un hypocrite et c’est un laïque. Mais, au Décaméron, les vrais faussaires de la maison de Dieu, clercs ou moines, sont en assez grand nombre. Voici le grand Inquisiteur de Florence, un mineur, qui est en même temps le grand investigateur des bourses bien garnies : il apprend qu’un bourgeois fort à l’aise s’est vanté de posséder en ses caves un vin si exquis que le Christ même pourrait le boire. Blasphème et sacrilège. Procès d’hérésie. Le bourgeois s’en tire à peu près avec beaucoup d’argent, « graisse excellente pour guérir la pestilentielle avarice