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à la galerie Vivienne, M. Laurens engagea son futur gendre à faire quelques voyages pour mieux se mettre au courant des affaires. Renduel entra alors chez Hautecœur jeune, dont la librairie était rue de Grenelle-Saint-Honoré (aujourd’hui rue J.-J. Rousseau, de la rue Saint-Honoré à la rue Coquillière) ; il espérait bientôt se marier et s’établir, mais il comptait sans les intrigues de gens qui avaient intérêt à ce que l’imprimerie passât en d’autres mains que les siennes. Il en arriva comme ceux-ci voulaient : M. Laurens transmit son brevet d’imprimeur à Honoré de Balzac. Ce nouveau contretemps ne devait pas arrêter Renduel, qui persista dans ses vues et finit par l’emporter : M. Laurens devint Mme Renduel[1].

À partir de ce moment, Renduel redoubla de zèle, pour mettre un peu d’aisance dans son ménage, et il fut vaillamment secondé par sa femme, qui, en digne fille d’imprimeur, lisait et corrigeait tous les ouvrages en cours d’impression. Grâce à leur activité commune, à leur ardeur au travail, ils purent élever peu à peu leur librairie au premier rang. C’est au courant de l’année 1828 que Renduel installa, au numéro 22 de la rue des Grands-Augustins, « ce cabinet de librairie » qui devait être, peu d’années après, le rendez-vous de toutes les célébrités littéraires et artistiques de l’époque, et surtout des chefs de file et des disciples enthousiastes de l’école romantique. Il débuta de la façon la plus modeste, en publiant un tout petit code (format in-32), puis des Contes de Berquin, de moitié avec un ami, et d’autres ouvrages de peu d’importance.

C’est seulement en 1830 que son nom commença à se répandre dans le monde des lettres. Il avait eu, en effet, le mérite de pressentir quelle force, quel avenir il y avait dans le mouvement littéraire qui ne faisait que de naître, et il eut l’adresse de grouper autour de lui tous ces écrivains, aujourd’hui célèbres, alors modestes débutans, qui allaient frapper à la porte des différeras libraires pour leur glisser subrepticement quelques volumes de prose ou de vers. L’habileté de Renduel consista à les appeler tous à lui par des propositions plus avantageuses et à publier franchement leurs ouvrages, au lieu d’en produire timidement un

  1. Mme Renduel, qui survécut treize ans à son mari et mourut au château de Beuvron le 14 juillet 1887, à près de quatre-vingt-six ans, était née à Paris le 21 septembre 1801, au n° 211 de la rue d’Argenteuil, où son père avait alors sa maison d’imprimerie. Mme Rose-Célestine Laurens de Pérignac (son père avait abandonné ce second nom pendant la Révolution et ne l’avait jamais repris) était la plus jeune des enfans de l’imprimeur et remarquablement jolie ; malgré les rides qui sillonnaient son visage, on retrouvait en elle, jusqu’à l’âge le plus avancé, des traces de sa rare beauté.