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paix religieuse du présent. Avec une adresse touchante de piété filiale, elle s’efforce de transposer le souvenir de sa mère dans ce Coppet sanctifié.


… Hier soir, en voyant ces figures sérieuses, réunies pour écouter un pasteur évangélique des environs, je pensais à toute cette vie si brillante qui avait animé ce lieu, et je pensais avec douceur aussi aux paroles chrétiennes que j’ai entendu prononcer à ma mère, et à l’influence qu’elle aurait pu exercer sur le mouvement religieux actuel. Il me semble que c’est la sibylle remplacée par la madone, mais l’ayant saluée de loin et appelée de ses vœux. Il me semble aussi parfois que j’entends le temps qui tombe goutte à goutte, et j’ai peine à me défendre d’un sentiment de mélancolie. Je voudrais quelquefois ne pas retrouver la vie passée avec toutes ses souffrances à chaque pas, mais je me méprise de cette impression, et elle se dissipe.


Cette vie touchait à sa fin : elle rentrait chaque jour davantage, comme l’écrivait Mme de Broglie à Guizot, en citant le vers de Pétrarque :


La mente mia sempre piu s’interna.


La blessure inguérissable avait fait son travail secret, dans cette plante sensible et frêle. Rien ne retenait plus la voyageuse sur la terre ; elle avait élevé son fils, établi sa seconde fille ; l’autre l’appelait, pressante ; la mère s’en fut la rejoindre, à quarante ans, avec tout l’élan d’espoir que sa forte foi lui donnait.

La publication des Lettres a soulevé un coin du voile qui couvrait cette figure intime. Nous avons essayé de la faire revenir dans la pénombre du livre, d’en fixer les contours un peu flottans d’abord, accusés plus tard par le travail de la vie, de la douleur, d’une haute discipline agissant sur une âme d’élite. Il nous a semblé qu’il fallait lui laisser sa physionomie humaine, afin qu’on la vît mieux s’acheminer vers la perfection ; et qu’il convenait de la replacer dans son milieu, pour montrer comment elle s’y adapta, ce qu’elle y put acquérir, et même ce qu’elle n’y pouvait pas trouver. — Après tant d’autres Mémoires, Souvenirs, Correspondances, les archives de M. de Barante nous introduisent une fois de plus dans le milieu des doctrinaires de la Restauration. Les hommes en vue qui le composèrent ont beaucoup occupé notre siècle ; l’histoire dira-t-elle qu’ils l’aient rempli ? Toujours respectables par la dignité de la vie, séduisans à leur manière par la grave élégance de l’esprit, derniers représentans de ce noble principe, la prédominance de la volonté humaine sur la nature, les faits et leurs fatalités, — il leur a manqué peut-être une intelligence plus large et plus rapide des soubresauts de notre mobile nation, un peu plus de souplesse à suivre les nouvelles directions de pensée et d’imagination dans leur temps, et, pour