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comités : les politiciens demeureraient nos rois. Et, par-dessus le reste, que d’occasions d’erreurs, si ce n’était de fraude, en cette interminable série d’opérations !

Au résumé, deux des inconvéniens du système actuel, la corruption mutuelle de l’électeur par l’élu et de l’élu par l’électeur, d’une part, et, d’autre part, la pression administrative, la représentation proportionnelle ne nous en délivrerait pas ; mais par contre, elle nous livrerait, plus encore que nous ne le sommes, au caprice des comités, leur donnât-on une forme ou une apparence légale, et elle ouvrirait à l’erreur, à la fraude, autant d’accès qu’elle comporterait de calculs et de manutentions de bulletins.

Toutefois, ce ne sont encore, contre la représentation proportionnelle, que des argumens médiocres. Elle ne nous délivrerait pas des maux qui, depuis l’origine, s’attachent au suffrage universel : mais, cette incapacité, est-ce exclusivement la sienne, et qui ? et quel système nous en délivrera ? Faites la balance de ses avantages probables et de ses inconvéniens probables : et vous pourrez trouver que, jusqu’ici, il y a compensation. Mais seulement jusqu’ici, car il y a, contre la représentation proportionnelle, telle que la présentent ses adeptes, des argumens de grand poids, suivant nous, et qui paraissent décisifs. Je dis : telle qu’ils nous la présentent. Leur construction, en effet, est patiemment édifiée-et, au-dessus de terre, bien jointe et de lignes harmonieuses. Mais le point faible est en terre, dans les substructions.

Ces architectes politiques ont le défaut de tous les architectes : ils oublient des choses essentielles, et au moins trois choses. L’une, comme on l’indiquait en posant la question, c’est que la première qualité d’un régime, quel qu’il soit, est de permettre au gouvernement de gouverner. Dans le régime parlementaire, déjà, la tâche n’est pas si commode ! Mais combien moins elle le serait, si, ce régime restant ce qu’il est, on décidait d’y introduire la représentation proportionnelle ! Les Chambres actuelles usent bien des mois et bien des ministères à dégager d’elles-mêmes une majorité, et quand elles y sont parvenues, un tour de main suffit à tout démolir. Et pourtant, actuellement, pour chaque siège attribué, il y a une ou plusieurs minorités non représentées, et absentes des Chambres.

Que serait-ce, lorsque, toutes les minorités ayant, dans les Chambres, des représentans, les unes plus et les autres moins, il n’y aurait plus, en dernière analyse, que des minorités juxtaposées, la plus nombreuse ne l’emportant pas assez pour former même le noyau solide ou le pivot résistant d’une majorité ! Le gouvernement s’épuiserait à pétrir et à malaxer ces pâtes molles, que mineraient et désagrégeraient toujours des fermens de