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est plus que tonale ; d’un bout à l’autre de la scène, l’exaltation du sentiment se traduit par une gradation de phrases toujours plus pathétiques, par un redoublement continu d’éloquence passionnée et funèbre, par les adjurations de plus en plus lyriques de Roméo à la douce morte. Autant que la surabondance de l’invention, il en faut admirer la liberté. Symphonique et chantante, cette musique n’est esclave d’aucun parti pris ni d’aucun système. Belle par la mélodie et les accords, par les timbres et par l’accent de la déclamation, elle sait l’être aussi par l’élaboration des thèmes (voir le réveil de Juliette) ou simplement (voir la reprise du thème de l’alouette) par leur brusque retour. Tout conspire à faire de ce dernier acte une sorte d’assomption. La fin de Sapho était un chef-d’œuvre d’apaisement, presque d’immobilité ; ce qu’il y a d’admirable en cette fin de Roméo, c’est qu’elle se meut, c’est qu’elle monte. Musique statique d’une part et de l’autre dynamique, diraient les savans. Et Gounod enfin, musicien d’amour, ne le fut jamais d’un tel amour. Qu’est-ce que le dénouement de Faust auprès de ce dénouement ? L’idée plus haute ici a porté plus haut la musique. Des quatre duos que renferme la partition de Roméo, le dernier dépasse les autres ; il les confirme en quelque sorte ou les consomme. Il est la suprême consécration de cette unanimité immédiate, invincible, absolue, qui met au-dessus de tous les amours de l’histoire et de la légende, l’amour des enfans de Vérone. L’amour, suivant une parole sacrée, veut ou fait les âmes pareilles, pares aut invenit aut facit. Si les pages finales de Roméo sont les plus belles, c’est qu’on y entend chanter pour la dernière fois deux âmes plus que jamais pareilles, et plus près de l’être pour l’éternité.


V

Mgr Gay écrivait un jour à Gounod : « Je sais ton âme par cœur. Ce n’est qu’en Dieu qu’elle peut se reposer, se dilater et fleurir. » Le prêtre connaissait bien l’artiste. C’est en Dieu qu’après le travail, la fatigue, la défaillance même, cette âme enfin se reposa ; en Dieu qu’elle fleurit sinon ses plus belles, du moins ses dernières fleurs. Années antiques, années d’amour, années pieuses ; on pourrait diviser ainsi la carrière du musicien de Sapho et d’Ulysse, de Faust et de Roméo, de Rédemption et de Mors et Vita. N’est-ce pas l’ordre d’une belle vie ? Gounod avait eu la jeunesse d’un lévite ; sa vieillesse fut d’un patriarche. Le sentiment religieux, qui ne s’était jamais retiré de son âme, finit par l’occuper tout entière. Je dis le sentiment, parce qu’à propos