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de Gounod c’est toujours le mot qui se présente d’abord ; mais il faut dire aussi l’idée religieuse, car Gounod fut chrétien par l’intelligence autant que par le cœur, et n’eut pas moins de foi que d’amour. Aucun artiste contemporain n’a ressenti plus que lui le goût, la passion du divin, et du divin sous toutes ses formes. Il le cherchait et l’adorait en toute vérité comme en toute beauté : dans la doctrine de l’Évangile et dans le génie de Mozart, dans une page de saint Augustin, dans une symphonie de Beethoven et dans une formule de Copernic ou de Kepler. Parmi les manuscrits qu’il a laissés, nombreux sont les essais de philosophie ou de théologie. Ce sont des Études de logique, signées l’abbé Gounod, des Méditations sur la prière, des notes sur l’Histoire comparée des religions, sur la Foi et la raison, sur l’Hostilité envers l’enseignement de l’Église. C’est encore un Essai philosophique sur les Dogmes, une élégante traduction de Dix sermons du pape saint Léon sur la fête de Noël ; enfin, sur une grande feuille de papier, dans un vaste demi-cercle tracé au crayon, le maître avait groupé les principaux articles de la foi chrétienne, et dessiné une sorte de plan du monde métaphysique et moral.

Ainsi méditait le croyant qu’était Gounod. Mais quand survenait l’artiste qu’il était aussi, qu’il était surtout, une métamorphose ou plutôt une réaction avait lieu. En passant du domaine de l’intelligence dans celui de la sensibilité, de l’ordre spéculatif dans l’ordre formel, je veux dire dans l’ordre spécial des formes sonores, la pensée du maître se modifiait. Elle s’adaptait naturellement au tempérament, au génie du musicien, elle en reproduisait le caractère essentiel. Or ce caractère étant, nous l’avons reconnu, la tendresse, musicien religieux ou musicien profane. Gounod resta toujours et avant tout musicien d’amour. On s’est plaint, scandalisé même comme d’une confusion, d’une inconvenance, voire d’un sacrilège. On a prononcé de grands mots, et de gros mots, parlé de piété voluptueuse et de mysticisme érotique. Peu s’en est fallu qu’on ne dénonçât en l’auteur de Rédemption le Renan de la musique, le chantre équivoque lui aussi de la piété sans la foi, celui dont la harpe sonne comme une lyre et qui célèbre sur le même mode l’amour divin et tout autres amours. Il y a là plus qu’un malentendu, je crois un défaut de justice et de justesse aussi. N’oublions pas d’abord que la loi de l’appropriation d’un certain style aux sujets sacrés, ne régit peut-être pas avec autant de rigueur l’ordre littéraire et l’ordre artistique. L’art étant un mode d’expression moins direct et moins précis que la parole, il semble que l’interprétation par les formes, sonores ou plastiques, puisse être plus libre, plus