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visée devait être de recouvrer la patrie et d’acquérir une distinction personnelle. Elle lui recommandait de ne pas méconnaître, dût-il s’exercer à son détriment, le droit du peuple français de se donner un chef. Ce sentiment élevé de détachement, conseillé par la mère, se transformait en un enseignement historique républicain. dans la bouche du précepteur Lebas, naturellement admirateur de la Révolution française.

L’ascendant de cette mère passionnée n’empêchait pas le jeune prince de subir l’influence de son père, auquel, malgré de constantes rudesses d’humeur, il témoigna toujours une respectueuse affection. Il lui demandait des conseils et lui rendait compte de la manière dont il les pratiquait. À peine son père l’a-t-il engagé à lire Condillac, il lui annonce qu’il l’a pris dans la bibliothèque ; il l’instruit de la distribution de ses journées : il se lève tous les matins à cinq heures, se couche à dix ; il va à la chasse une fois par semaine. Il le fait en quelque sorte le témoin de sa vie quotidienne.

Un jour, la soumission lui fut particulièrement pénible. Impatient de se distinguer, il avait désiré faire, au printemps de 1829, la campagne contre les Turcs, en qualité de volontaire dans l’armée russe. Après avoir beaucoup hésité, Hortense y consentit. Restait à obtenir l’assentiment paternel. Le prince le sollicite en termes pressans : « Ah ! mon cher papa, pensez que vous n’aviez pas encore mon âge et que déjà vous étiez couvert gloire. » Louis n’envoya ni son consentement ni sa bénédiction. Il n’admettait, dans aucun cas, pour quelque motif que ce pût être, qu’on servît en pays étranger. L’opposition de Mme Letizia se prononça d’une manière plus tranchante. Révoltée à l’idée que son petit-fils revêtirait l’uniforme de l’un de ces souverains qui envoyèrent son fils à Sainte-Hélène, elle le fit venir et lui dit, en se redressant sur son fauteuil : « Comment vous appelez-vous — Napoléon. — Eh bien, maintenant, sortez ».

Condamné à rester dans sa solitude, le jeune prince continua presque seul son éducation. Au collège il s’était adonné aux langues vivantes, aux sciences exactes ; cependant il était arrivé à lire le latin sans difficulté. À Arenenberg, il étudia les poètes et surtout Schiller et Corneille, le poète de son oncle ; il s’occupa avec ardeur des sciences historiques et militaires. Pour s’initier au métier de la guerre, qui lui était interdit dans une grande armée, il se rendit au camp de Thoune, comme les jeunes Suisses, et s’y fit remarquer par son assiduité et son intelligence. Il s’appliqua aussi aux exercices du corps, natation, équitation, et y excella.

Indépendamment de l’influence de son père et de sa mère, le