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la plupart de ces artistes et de ces voyageurs, et son fils, reprenant ainsi le contact avec l’Europe et les hommes, échappait un peu à l’obsession de ses tristesses solitaires. Régulièrement il passait de la poésie des pierres en ruines que les années dévorent, à celle des monts géans dont elles ne peuvent ternir la blancheur immuable.

En 1834, des embarras d’argent contraignirent Hortense à renoncer à ce voyage bienfaisant. Sa liquidation lui laissait à peu près trois millions que les largesses de son fils diminuaient chaque jour. Elle se trouvait souvent gênée. Elle sollicita de ses gardiens internationaux de passer deux mois à Genève. Un officier suisse de leurs amis, Huber-Saladin, se chargea de parler à Louis-Philippe. « La reine, lui dit-il, avait besoin d’entendre parler français et l’hiver était bien long à Arenenberg. — Vous êtes un berger d’Arcadie bien naïf, lui répondit le roi en riant, c’est pour conspirer qu’ils veulent aller là. Seulement ils sont si peu dangereux que je ne m’y opposerai pas. » Ils furent autorisés à séjourner à Genève pendant l’hiver de 1834 à 1835.

Ce n’était pas pour conspirer que le prince s’était rendu à Genève, mauvaise base d’opérations, et cependant le roi ne se trompait pas en supposant qu’il conspirait.

Aussi longtemps que le duc de Reichstadt vécut, le prince, quoique tout dévoué à la mémoire de son oncle et aux causes populaires qu’elle personnifiait, était resté fidèle au chef captif de sa famille, attendant, pour le servir, qu’il déclarât ses intentions. Il comprenait que ce n’était que par l’étroite union de ses membres que la famille proscrite pourrait surnager de nouveau au-dessus des événemens. À la mort du duc de Reichstadt (22 juillet 1832), ces dispositions changèrent. Joseph, le chef de la famille, n’avait pas de fils ; Louis était infirme ; ni l’un ni l’autre ne songeait à relever la cause vaincue. De plus en plus, Joseph devenait républicain, Jérôme orléaniste, Louis rimailleur. Le prince Louis considéra que ce renoncement général le constituait le chef politique — de sa famille ; dès lors, il se décida à l’action. Convaincu que la cause napoléonienne était la seule populaire en France, la seule civilisatrice en Europe, las de l’exil, il prit la résolution, dût-il devenir la victime de sa tentative, d’appeler le peuple à lui[1].

Rien n’était moins dans les intentions de sa mère, fatigué des ambitions décevantes, et qui depuis longtemps lui avait montré le fond de son cœur découragé : « Ceux qui me jugent ambitieuse ne savent pas à quel point je les plains d’acheter si cher la

  1. A sa mère, décembre 1836