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de simili-faïence. L’assyrien y coudoie le rococo ; les Propylées de l’Acropole servent de vestibule à des chalets suisses ; on sort d’un Alcazar en papier peint pour entrer dans un Trianon de sucre rose. Et le gothique s’y marie au chinois, les huttes canaques, les paillotes papoues y fraternisent avec les arcatures romanes et les frises de la Renaissance. On instaure des panoramas très parisiens dans des palais kmers, des musées d’anatomie, des dégustations de vins, dans des cabanes lacustres ; et du balcon des minarets, le soir, des muezzins, parfaitement grimés, annoncent aux bourgeois ravis qu’il est l’heure de danser du ventre, — dans les mosquées saintes.

Tous ces monumens baroques devraient disparaître comme des décors et des accessoires de théâtre, après que les chandelles ont été soufflées ; mais à l’heure du règlement des comptes, et quand échoit le moment de rendre Paris nettoyé à lui-même, à sa circulation normale, à son labeur habituel, le sentiment intervient, qui plaide en faveur de leur conservation. Quel malheur de détruire d’aussi admirables ouvrages ! Ne serait-ce pas un acte impie, une coupable imprévoyance ? Ces édifices qui tiennent à la fois du temple sacré et de la gare de chemin de fer, du music-hall et du palais babylonien, ont été la joie, l’orgueil, la richesse de Paris. Il serait beau qu’ils continuassent à l’orner. Sans compter qu’ils sont pour le peuple un moyen de permanente instruction, une école féconde en enseignemens de toute sorte. Ils lui apprennent, par l’image, sans cesse présente à ses yeux, l’histoire des civilisations, les luttes sociales, la marche toujours ascendante de l’humanité vers le progrès, — depuis l’homme des cavernes, lequel, dans les grottes de l’Ariège, de l’Aveyron, ignorait les bienfaits des expositions universelles, jusqu’aux doctes ingénieurs, qui les résument tous en leur personne. Et puis, il y a toujours quelqu’un pour démontrer que la plupart de ces monumens contiennent le germe, sinon la réalisation d’une architecture moderne, architecture qu’on attend depuis le commencement du siècle, et qui n’est pas venue encore, on ne sait pourquoi, car, inexplicable ironie ! les recensemens comptent, en ce siècle où il n’y a pas d’architecture, mille fois plus d’architectes que dans les époques où il y en avait de glorieuses. D’ailleurs, la ville et l’Etat n’ont-ils pas toujours besoin de monumens nouveaux qui, à la beauté du décor, unissent l’utilité d’une affectation édilitaire possible ? Ils ne savent plus où loger les concours hippiques et les expositions de tableaux, les animaux gras et les chrysanthèmes, les alevins de M. Jousset de Bellême et le musée des Arts décoratifs, les bicyclettes et les meubles historiques. L’occasion est donc bonne pour s’agrandir et se parer à nouveau. Il faut en