Page:Revue des Deux Mondes - 1895 - tome 132.djvu/896

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

profiter, car si le pays venait, un beau jour, à se lasser des expositions universelles, où donc trouverait-on des monumens si parfaitement conformes au goût de notre admirable démocratie ?

J’écrivais plus haut que les expositions universelles, après nous avoir tout pris, argent, dignité, repos, ne nous laissaient rien que l’amer dégoût et l’hébétude particuliers aux lendemains de fêtes. Je me trompais. Elles nous laissent autre chose ; elles nous laissent ces monumens, pour les raisons que je viens de dire, et pour d’autres encore, pareillement valables, qu’il serait oiseux d’énumérer. Mais comme il est impossible de les garder toutes, on choisit parmi ces bâtisses les plus indiscutablement laides, les plus encombrantes, celles qui accaparèrent sur les hauteurs, dans nos parcs les plus fréquentés et nos plus élégantes promenades, une situation merveilleuse et faite uniquement pour y dresser des chefs-d’œuvre. Est-il nécessaire de rappeler que chaque exposition nous dota successivement de l’inqualifiable Palais de l’Industrie, de l’affligeant Trocadéro, de l’incompréhensible et stupéfiante tour Eiffel, de ces garages inaccessibles que sont le palais des Beaux-Arts, au Champ-de-Mars, et cette suite de mornes constructions qui raccompagnent et s’y embranchent : le Palais de l’Industrie, qui scandalise les arbres, les fleurs, au milieu desquels il apparaît, dans la grâce d’un bœuf foulant un parterre de roses, qui désole toute cette gai té ambiante, tout ce clair et vivifiant espace, par où s’ouvre la triomphale avenue des Champs-Elysées, unique au monde ; le Trocadéro, avec ses escaliers en trompe-l’œil, ses faux reliefs de toile de fond, ses profils secs de portans de théâtre, l’inconsistance de ses tours, et ses deux ailes qui évoquent l’idée d’un établissement de bains mal famé ! la tour Eiffel, inexplicable échafaudage de quelque chose qu’on ignore et qu’on ne verra jamais. J’en laisse !… C’est une invasion qui de plus en plus s’avance sur Paris, le contamine et le ronge au cœur même de sa beauté.

Je sais bien qu’on nous promet de démolir le Palais de l’Industrie. Mais qu’est-ce que cela nous fait si l’on se propose d’y substituer quelque chose de plus informe encore ? Et par quoi le remplacera-t-on, ce pauvre bazar qui, malgré son apparence de grange désaffectée, avait au moins ce mérite ou cette excuse que nous fussions habitués à sa laideur ? Le plan de M. Picard, que je ne veux pas discuter ici, est là pour nous le dire. Il démolit le Palais de l’Industrie, mais il en reconstruit deux autres à la place. Le long de cette avenue des Champs-Elysées, si obstinément choisie pour point de départ de la néfaste activité des architectes, sur le quai de la Conférence, sur le Cours-la-Reine, qui font partie intégrante de notre incomparable promenade, il