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le débat, la preuve matérielle du crime, et celle de la responsabilité du criminel. Cette tâche est-elle aisée ?

Très aisée, au dire de beaucoup de juristes. Une question de droit, disent-ils, est chose difficile ; il faut des savans pour la résoudre ; mais juger du fait, — voire même des intentions, de la « moralité du fait », — c’est une œuvre facile à laquelle suffisent des hommes « simples et purs » possédant « les lumières du sens commun » et une bonne conscience bourgeoise. Cette philosophie, assez rudimentaire, est à peu près celle du Code de 1808 ; mais les temps approchent, sans doute, où les législateurs en pareille matière devront accepter le souci d’analyses plus raffinées. Dès à présent, et sans prendre parti sur des problèmes philosophiques étrangers à l’objet de ces études, il est utile de dire que cette question : « Est-il coupable ? » loin d’être simple et aisée à résoudre, est la plus haute et la plus difficile qui puisse faire trembler un juge.

Quand le jury criminel fut organisé en 1791, on commença par lui demander, en deux questions distinctes, si « le fait était constant ? » et, en cas d’affirmative, si « l’accusé était convaincu ? » Cela parut équivoque, et, le 5 octobre 1794, à la demande de Sieyès[1], la Convention nationale dut s’expliquer nettement. « Considérant, dit-elle, que le grand bienfait de l’institution des jurés consiste principalement en ce que l’intention des prévenus doit être examinée et appréciée, à la différence de l’ancienne instruction criminelle qui ne s’appliquait qu’aux faits… décrète que les présidens des tribunaux criminels seront tenus de poser la question relative à l’intention, et les jurés de prononcer par une déclaration formelle et distincte. » Ce système passa dans le Code des délits et des peines du 3 brumaire an IV. Chaque juré se prononçait séparément sur les trois questions. Il « mettait la main sur son cœur », et s’il voulait condamner, disait : « Sur mon honneur et ma conscience, le fait est constant, l’accusé est convaincu, il a commis le fait méchamment et à dessein. » Enfin, après beaucoup de controverses, d’équivoques, de malentendus, on arriva, en 1808, à fondre toutes ces questions en une seule : celle qui est posée aujourd’hui, la question de « culpabilité ».

Question simple ! Elle a pu paraître telle, sans doute, quand les hommes se croyaient en possession d’une solution inattaquable du problème de la liberté humaine, ou plutôt quand ce problème ne s’était jamais posé devant eux. Mais aujourd’hui,

  1. C’est pour résoudre un cas particulier que ce décret fut présenté, dans l’affaire et sur la pétition de Geneviève Leduy, condamnée à six ans de gêne pour faux témoignage.