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retourner chez eux. Or, il y a deux affaires à juger ce jour-là : sans doute le même jury siégera toute la journée ? Non certes, il faut à chaque cause son jury spécial. Or, comme nul ne peut savoir à quelle heure finira le premier procès, les jurés du second perdront la journée entière ; ils sont dérangés, mécontens. Pourquoi ne pas soumettre au même jury toutes les affaires du jour ? Quelle sorte de garantie peut résulter d’un tel formalisme ? Ce sont là, dira-t-on, de bien petites choses ; mais, accumulées, elles ont un grand résultat, celui de décourager tout le monde des œuvres du « concours civique » et de faire croire à tort aux justiciables qu’on se plaît à semer les retards, les vaines attentes, les ennuis de toute sorte devant les pas de ce plaideur, de ce témoin, de ce juré. C’est la forme, inutile et sacrée, qu’ont héritée nos codes, dont jouiront aussi nos arrière-neveux si nous n’y prenons garde !

Autre exemple. Nos jurés auront à statuer sur trois affaires de mœurs. Ils verront là. sans les comprendre, de bien étranges cérémonies. On sait que la Cour peut ordonner que le débat ne soit pas public, si cette publicité « est dangereuse pour l’ordre et les mœurs ». On prononce donc le huis-clos, les portes sont fermées. Mais un incident se produit. Un témoin assigné n’a pas comparu. Renverra-t-on l’affaire, ou doit-on « passer outre aux débats ? » Le président va prononcer un arrêt sur ce point ; mais comme cet arrêt n’a rien de blessant pour les oreilles les plus chastes, le huis-clos ne peut être maintenu. — « Ouvrez les portes ! » ordonne le président. Les portes sont ouvertes, un visiteur du Palais de justice se hasarde sur le seuil. Mais à peine a-t-il fait un pas qu’une autre injonction retentit : « Fermez les portes ! » L’arrêt est rendu, le visiteur est repoussé, la porte se referme, et dix fois pendant l’audience, au grand étonnement des jurés, cette cérémonie se répète : la porte doit être rouverte dès qu’un incident du débat n’est pas « dangereux pour l’ordre et les mœurs. » Pourquoi ne pas comprendre dans la mesure du « huis-clos » tous les incidens relatifs à l’affaire ? Puerility and subtility, disait un Anglais témoin de ces choses[1].

Le chapitre du « formalisme en Cour d’assises » serait d’ailleurs inépuisable, et fournirait les exemples les plus surprenans. N’y a-t-il pas eu une « question des chapeaux », et quatre auteurs des plus graves, Faustin Hélie, Legraverend, Bourguignon et Cubain, n’ont-ils pas discuté la question de savoir « si les jurés peuvent se couvrir pendant la durée de l’audience ? » Le plus important de ces criminalistes « incline » vers l’affirmative. Ceci sans doute n’appelle que le sourire. Mais l’ensemble du

  1. Bonneville de Marsangy, De l’amélioration de la justice criminelle.