Page:Revue des Deux Mondes - 1896 - tome 133.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

immédiate ; le juge doit l’interrompre s’il dépose d’ouï-dire. En outre il ne peut être posé de questions « qu’autant qu’elles ont trait directement à l’affaire. » Sans doute on peut, par exception, déroger à ces principes, mais ils forment un ensemble de traditions et de pratiques que le juge anglais fait respecter.

Chez nous, les témoins « par ouï-dire » arrivent par légions, apportant à l’audience les rumeurs vaines et dangereuses, les racontars sans fondemens qui peuvent impressionner. Quand cette foule est à la barre, quelle vigueur il faudrait pour la dominer ! Quelle prudence serait nécessaire pour ramener sans cesse le témoin aux faits de la cause, pour l’empêcher de se livrer à ses passions et à ses haines ! Si on le suit, au contraire, dans les dangereuses digressions auxquelles il sera entraîné, à quelles déviations du débat, à quelles scènes de violence et de scandale ne peut-on pas être amené ! Ce n’est plus l’accusé seul, ce sont ses en fan s, sa femme, ses proches, les précepteurs, les domestiques, dont la vie privée va être mise au jour, dans un déchaînement de médisance ou de calomnie !

Sans doute il ne faudrait pas, en essayant de circonscrire le débat, entraver en quoi que ce soit la liberté de la défense ; mais les abus du système actuel ont apparu si nettement que tout récemment, au Sénat, on a cherché à y porter remède. On s’est occupé d’un point spécial, sur lequel des affaires récentes avaient attiré l’attention : les dépositions des enfans de l’accusé. Par un motif de haute convenance, la loi ne reçoit point ces témoignages ; par un détour de la pratique ils sont trop souvent accueillis. Le président reprend « à titre de renseignemens et en vertu de son pouvoir discrétionnaire » les déclarations que la loi repousse. Le Sénat voulait, dans ce cas spécial, supprimer, ou au moins restreindre ce droit du président d’assises, que les criminalistes traitent d’exorbitant. Cet effort a échoué ; pourquoi ? Parce que, dans bien des cas, qu’il n’est pas possible de prévoir ni de classer (le nombre des espèces étant illimité à la Cour d’assises) l’audition des enfans sera indispensable à la manifestation de la vérité.

Que faire alors ?

« Je crois, disait[1] un honorable sénateur, que ce qui vaudrait le mieux serait que M. le garde des sceaux voulût bien rappeler aux présidens d’assises qu’on doit éviter autant que possible de faire comparaître les descendans vis-à-vis de leurs ascendans. » On a donc bien compris que c’est sur le président

  1. Séance du 18 novembre 1895.