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d’assises qu’il faut agir. Mais des circulaires y suffiraient-elles ? Ne faut-il pas une réforme d’ensemble pour rendre possible à ce magistrat le retour à son rôle d’arbitre supérieur, de témoin sans passion ? Nous reviendrons sur ce sujet dans une autre partie de ces études.

Constatons que dès aujourd’hui la loi impose au président le devoir de « rejeter tout ce qui tendrait à prolonger les débats inutilement. » Et c’est là un texte bien sage. S’il n’est pas observé, si, durant plusieurs heures, des témoignages passionnés, entraînant le débat dans des digressions lointaines, se succèdent devant le jury, il éprouve à les coordonner, à les classer, à en faire la critique, une difficulté presque insurmontable. même si ces dépositions étaient peu nombreuses, topiques, énergiquement ramenées au point central du débat, la difficulté serait grande encore (Bentham l’a très clairement démontré) de constituer dans l’esprit du juré la permanence du témoignage. Le témoignage qui n’a pas été écrit, dit Bentham, « devient à chaque moment plus sujet à s’altérer et à se perdre ; s’il a été à l’origine exact et complet, il cesse bientôt de l’être… et si un mot essentiel est oublié, ou douteux, ou en dispute, sur quoi la décision sera-t-elle fondée ? » C’est pour prévenir ce danger que le juge anglais prend des notes, et constitue ainsi la permanence des témoignages produits à l’audience. Chez nous on peut affirmer que dans toute affaire longue et compliquée, les jurés après quelques heures ne sont plus en état d’apercevoir l’ensemble des dépositions dans leurs points essentiels, et à plus forte raison de faire « la critique du témoignage. » Leur mémoire peu exercée se refuse au tour de force qu’on exige d’elle ; ils subissent passivement ces déclarations orales qui se superposent en couches successives, se pénétrant, se coagulant en une masse informe dans leurs cerveaux fatigués. Aussi l’impression que leur produira telle ou telle déclaration résultera presque toujours de l’apparence extérieure, de la plastique du témoignage. Tel témoin par ouï-dire, qui en Angleterre n’eût pas été entendu, produira plus d’effet que tel autre qui a vu de ses yeux, si son allure est meilleure et son ton plus persuasif. Avocats et accusateur le savent bien, et c’est en vue de cette impression extérieure à produire sur le juré que la liste des témoins est composée, maniée et remaniée avec art par l’accusation et la défense. On peut dire qu’il y aurait grand avantage, en toute « cause célèbre, » à réduire cette liste de moitié.

En attendant, dans l’affaire qui nous occupe, les témoignages violens et passionnés, les confrontations émouvantes se sont succédé pendant de longues heures, provoquant les applaudissemens