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le juré, juge du droit, se conforme à ces instructions. Il pourrait cependant, lui aussi, faire acte de fantaisie et d’omnipotence, mais il se conforme aux instructions du juge parce qu’il a en lui une pleine et entière confiance. En revanche, ce juré anglais n’a point à s’occuper de la peine, et par conséquent (car ce système est au moins logique) il n’a pas à se prononcer sur la question des circonstances atténuantes. Enfin, comme nous l’avons dit, il n’a à résoudre qu’une seule question qui contient tous les faits de l’accusation. Précisons à présent l’objet des délibérations de notre jury. Son chef a sous les yeux la « feuille des questions » et un paquet de pièces.

D’abord, que sont ces pièces ? Elles sont la « procédure écrite » qui, sous une forme dangereuse, revient ici après le débat. Qu’on remette aux jurés l’acte d’accusation, cela se comprend à merveille ; qu’on leur remette (et cela n’a point lieu en France), des notes impartiales photographiant le débat oral, cela se comprendrait aussi ; mais qu’on leur fournisse toutes les pièces du procès ou, ce qui serait plus grave encore, un choix de pièces assorties triées dans le dossier, à l’exception des déclarations écrites des témoins, cela suffirait à démontrer l’incohérence d’une loi qui n’a pas su opter entre la preuve orale et la preuve écrite, entre le système anglais et le système de l’ordonnance de 1670. Mais passons sur ce point, car il est acquis on fait que les jurés ont d’ordinaire le bon sens de ne pas accroître leurs incertitudes en se livrant à l’étude des pièces.

Un autre soin les occupe ; celui de bien comprendre ce qui est écrit sur cette « feuille de questions. » Heureux si le fait à juger se décompose en deux ou trois points bien simples ! mais s’il s’agit de faux ou de vols qualifiés, la « feuille de questions » sera un gros cahier. Pourtant, même dans ce cas, nos jurés actuels sont plus fortunés que leurs pères. Du temps du Code des délits et des peines, de cet ingénieux et compliqué mécanisme d’horlogerie judiciaire que Merlin avait composé, un curieux a compté « jusqu’à 26 000 questions posées au jury dans une seule affaire. » C’était à dégoûter du jury un peuple moins ardent à s’affranchir des obligations du concours civique que ne l’est le peuple français ! En 1808, le tribun Faure dit qu’il fallait « établir le juste milieu entre des questions trop divisées et une seule question indivisible. » De sorte qu’à présent le juré n’est guère exposé à 26000 questions, ni à 2 600, mais assez souvent à 260.

Et le mal ne serait pas grand si l’on s’entendait une bonne fois sur l’étendue et les frontières « du point à juger » que ces questions soumettent au jury. Mais d’abord (nous l’avons dit et