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des titres retentissans au dos des publications romantiques et dont les auteurs, souvent, n’avaient pas la moindre idée. Le plus connu de ces livres célèbres par leur seul titre est la Quiquengrogne, de Victor Hugo ; et il s’en fallut de peu que le Capitaine Fracasse, de Gautier, ne sortît jamais de ces limbes littéraires. L’Orgue y resta.


V. — ALFRED ET PAUL DE MUSSET. — ALEXANDRE DUMAS. — CHARLES NODIER. — VIENNET. — JULES JANIN.

Alfred de Musset ne se laissa jamais enrôler dans le romantisme au point de perdre son indépendance et sa liberté d’action. Il bataillait en allié, en volontaire, en gentilhomme ; il avait su se faire l’ami de ses partisans juste assez pour avoir leur aide au besoin, tout en les pouvant quitter à l’occasion. Il s’est fort défendu, par la suite, d’être jamais tombé dans les exagérations folles de l’école nouvelle, et rappelait alors sa Ballade à la Lune, composée exprès pour tourner en ridicule de telles extravagances. Celui-là, en vérité, ne dut jamais être un romantique farouche et convaincu qui traita le Cénacle de « boutique » et osa bien — dès 1831 — écrire ces vers des Secrètes pensées de Rafaël :


Salut, jeunes champions d’une cause un peu vieille,
Classiques bien rasés, à la face vermeille,
Romantiques barbus, aux visages blêmis !
Vous qui des Grecs défunts balayez le rivage,
Ou d’un poignard sanglant fouillez le moyen âge,
Salut ! — J’ai combattu dans vos camps ennemis.
Par cent coups meurtriers devenu respectable,
Vétéran, je m’assois sur mon tambour crevé.
Racine, rencontrant Shakspeare sur ma table,
S’endort près de Boileau qui leur a pardonné.


Quand Alfred de Musset fit offrir par son frère à Renduel un recueil de vers, il n’avait encore soumis au public qu’un seul volume : Contes d’Espagne et d’Italie, qui l’avait rendu presque célèbre en soulevant de violentes discussions dans la presse ; et une comédie : la Nuit vénitienne, jouée deux fois seulement à l’Odéon au milieu des rires et des sifflets. Le volume à venir portait comme titre général : Spectacle dans un fauteuil, et ne comprenait que deux ébauches de pièces en vers : le poème dramatique : La Coupe et les Lèvres, et la petite comédie : A quoi rêvent les jeunes filles. L’éditeur hésitait, paraît-il, à publier ce recueil de vers qu’il jugeait d’un écoulement plus difficile qu’un