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les désastreux effets de sa prédilection. Cette préférence, si nettement marquée dès le début, s’est maintenue depuis à toutes les époques. Dans chaque explosion épidémique, nous retrouvons le territoire allemand en tête des régions envahies. Il semble donc constituer sur notre vieux continent le vrai champ de culture de la grippe ; et c’est en effet de là que nous voyons surgir et se répandre, dans les directions les plus opposées, la presque totalité des épidémies des XVIIe et XVIIIe siècles. Après un siècle révolu d’atteintes localisées, l’influenza franchit brusquement, en automne 1729, le cercle relativement étroit dans lequel nous l’avons vue se confiner. Quelques mois lui suffirent pour envahir la totalité de l’Europe, des confins de la Russie aux limites extrêmes de l’Espagne. Au mois de novembre elle avait déjà pris possession de la ville de Londres, où dans une seule semaine on ne comptât pas moins de neuf cent huit décès.

Une très courte période de calme trompeur sépare cette deuxième invasion d’une troisième tout aussi grave et bien plus générale. En novembre 1732, l’épidémie reparaît en Saxe et en Pologne, parcourt ensuite dans une marche rapide la Hollande, l’Angleterre, l’Ecosse. Paris est envahi au mois de janvier. Le 15 février la grippe est signalée à Livourne ; le 1er mars à Naples et à Madrid. D’Angleterre le mal est importé au Canada, et il descend, en quelques semaines, jusqu’aux Barbades, à la Jamaïque, au Mexique et au Pérou. En moins de six mois l’influenza avait ainsi fait le tour de l’Europe et de l’Amérique tout entière.

Nouveau répit qui ne dure que cinq ans. Une quatrième grande épidémie débute encore en Allemagne en 1742, et se propage successivement en Hollande, en Angleterre, en France et en Italie. L’Angleterre est surtout éprouvée ; à Londres les décès s’élèvent jusqu’à mille par semaine. Vingt ans après, en 1762, la grippe épidémique est signalée en mars à Vienne (Autriche), et bientôt l’Allemagne. l’Italie, la Hongrie, l’Angleterre et la France lui paient leur tribut accoutumé. L’éclosion printanière de cette cinquième invasion la rendit relativement bénigne. La grande épidémie de 1775, printanière comme la précédente, et également peu meurtrière, s’étendit à toutes les contrées de l’Europe. Bêtes et gens étaient également atteints :

Ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés.

Ce fut la dernière invasion grippale du XVIIIe siècle.

Le XIXe sembla tout d’abord devoir échapper à d’aussi dures épreuves. De fait, à part quelques épidémies partielles sans