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constatation : que la grippe ne paraissait pas avoir d’agent pathogène déterminé ; que les microbes successivement dénoncés par tant d’observateurs autorisés ne différaient en rien de ceux qui habitent normalement la cavité naso-pharyngienne d’un homme sain ; que tout portait à croire cependant que ces mêmes microbes contribuent activement, par l’exaltation accidentelle de leur virulence, à doter l’influenza, une fois créée, de son indéniable pouvoir contagieux et de sa fatale tendance aux complications. Mais un pareil échec n’était vraiment pas de notre temps. Examens et cultures reprirent à l’envi, si bien que dès le commencement de 1892, Pfeiffer nous donna la première description d’un nouveau bacille, qui s’annonça d’emblée comme le rara avis insaisissable jusqu’alors. Ce microbe se présente sous l’aspect d’un bâtonnet très court et très fin : il pullule dans les crachats des grippés ; s’inocule facilement au singe, chez lequel il reproduit tous les symptômes de l’influenza ; et ajoute enfin à ces caractères suffisamment démonstratifs celui de ne se rencontrer dans aucune autre maladie.

Quelle sera la durée de ce succès ? Doit-on, dès maintenant, lui décerner les honneurs du triomphe ?… Les déceptions de la veille imposent une prudente réserve aux enthousiasmes du lendemain. Toujours est-il que, après trois ans d’épreuves contradictoires, d’autant plus dignes de foi que chaque expérimentateur ne pouvait humainement s’affranchir du secret désir de substituer ses propres découvertes à celles de Pfeiffer, il reste actuellement acquis qu’aucun nouvel organisme n’a été décelé dans les divers produits des manifestations grippales. C’est ce qui résulte nettement des travaux simultanés de micrographes en renom tels que Kitasato, Klein, Tessier, Roux. Tous s’accordent à reconnaître l’existence et la valeur pathogène du bacille de Pfeiffer, avec, chez quelques-uns, l’arrière-pensée de le compter au nombre des microbes habitant normalement la cavité bucco-pharyngée. S’il en était ainsi, la grippe épidémique ne serait autre chose que le fait de la virulence accidentelle d’un microbe banal, ce qui, en principe, est en discordance manifeste avec les allures absolument spéciales des pandémies. Il semble plus rationnel d’admettre, comme pour le bacille du choléra, que l’agent pathogène, disséminé à l’infini par chaque grande invasion, ne disparaît pas brusquement avec elles. Au cours de cette survivance plus ou moins prolongée, réduit à l’inertie par l’épuisement, il se confond dans la masse des parasites vulgaires, dont l’activité momentanée peut, de temps à autre, donner lieu aux agressions collectives d’une épidémie passagère et localisée.