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remèdes. Ce second message a eu un sort très différent du premier : il a été aussi mal accueilli que celui-ci l’avait été bien. Il est vrai qu’il ne s’agissait plus, cette fois, de revendications patriotiques, mais de mesures financières sur lesquelles les partis en Amérique sont profondément divisés. Les protectionnistes, en particulier, cherchent à profiter des circonstances pour élever encore plus haut les barrières qui séparent l’Amérique de l’Europe, et encore plus sûrement, que ne le fera jamais la doctrine de Monroe. En revanche, l’Amérique est unie, économiquement et politiquement. On sait que, depuis quelques années, l’Australie a fait des efforts sérieux pour organiser elle-même, entre les divers États qui la composent, une étroite fédération. Sir Henry Parker, premier ministre de l’État de Victoria, en avait pris l’initiative en 1891. Depuis, l’idée a fait son chemin, mais avec lenteur et non sans rencontrer des obstacles. Au mois de février dernier, une conférence des ministres des sept États a eu lieu à Hobart-Town, capitale de la Tasmanie, pour approuver les bases de la fédération, telles qu’elles avaient été établies en 1891, et pour décider qu’une nouvelle convention composée de soixante-dix délégués, dix par État, serait appelée à élaborer une constitution fédérale. Celle-ci devrait être votée, d’abord par les législatures particulières de chaque État, puis par le peuple entier sous la forme du référendum, enfin par le Parlement impérial, qui n’est autre que le Parlement anglais. Ces formalités, on le voit, sont longues et compliquées. Jusqu’à ces derniers jours, la législature de la Nouvelle-Galles du Sud avait seule adhéré aux résolutions de la conférence de Hobart-Town, et les autres ne montraient pas beaucoup d’empressement à suivre cet exemple. Tout d’un coup, à la nouvelle du conflit anglo-américain, le Parlement de Victoria, puis celui de l’Australie Méridionale, ont émis un vote analogue, et on regarde dès lors celui des autres États comme assuré. La fédération de l’Australie est-elle à la veille de s’accomplir ? On peut le croire ; mais si l’incident vénézuélien est vraiment pour quelque chose dans ce dénouement, il faut admirer une fois de plus à quel point le hasard se mêle aux plus grandes affaires. L’Australie a voulu, du moins les journaux anglais le disent, faire une démonstration de loyalisme envers la métropole et resserrer les liens qui l’unissent à elle ; mais tout le monde prévoit déjà, en s’éclairant des lumières de l’histoire, que l’Australie fédérée, après avoir pris conscience de la force que lui donnera son union, ne sera plus bien éloignée de proclamer son indépendance, — et s’il en est ainsi, après avoir admiré l’étrange logique qui préside parfois aux choses humaines, il faudra bien aussi en constater l’ironie.


FRANCIS CHARMES.


Le Directeur-gérant,

F. BRUNETIERE.