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Ces derniers mots me décidèrent, et j’envoyai immédiatement mon acceptation. En même temps, je tins à ce que cet entretien pût être utile à nos intérêts, et je priai le prince Gortchacow, qui devait partir la semaine suivante pour Ems avec l’Empereur, de faire en sorte que l’on ne me rendît pas à Berlin ma mission trop pénible. Il me le promit, en même temps que la commanderie de l’ordre de Sainte-Anne pour notre attaché militaire, le chef d’escadron d’artillerie, depuis général de division, de Miribel. Je tenais beaucoup, après les distinctions accordées à l’armée allemande par le gouvernement russe, qu’une décoration fût donnée par ce même gouvernement à l’armée française, dans la personne de notre attaché militaire, qui n’avait quitté son poste en Russie que pour défendre Paris contre l’ennemi, et contribuer ensuite à le reprendre sur la Commune. Aucune décoration ne pouvait être placée sur une plus noble poitrine.

En même temps j’exprimai le désir d’avoir, avant mon départ, une audience particulière de l’empereur Alexandre. Le prince Gortchacow me répondit que l’usage de la cour n’était pas d’en donner aux chargés d’affaires, qui n’étaient, comme je le savais du reste, accrédités, selon le droit diplomatique, qu’auprès du ministre des affaires étrangères, mais que, vu les circonstances exceptionnelles où nous nous trouvions, il serait possible qu’elle me fût accordée. En effet, le lendemain j’en reçus l’avis officiel, et deux jours après, le 27 mai, je me rendis au Palais d’hiver.

L’Empereur m’accueillit avec beaucoup de bienveillance et de cordialité et me retint une demi-heure dans son cabinet…

« Je n’ai trouvé, écrivais-je dans le télégramme où je rendais compte de cette audience, que de la sympathie chez Sa Majesté pour nos malheurs et un réel désir de contribuer, en ce qui la concerne, à nous en adoucir l’amertume. L’Empereur, après avoir payé un juste tribut d’éloges à notre armée, dont l’esprit et la discipline lui paraissaient redevenus excellens, m’a dit qu’il n’avait qu’un désir, c’était de voir le gouvernement issu du suffrage de l’Assemblée nationale, se consolider et donner ainsi des garanties définitives au maintien de l’ordre. — La France n’a pas à se plaindre de moi, m’a dit Sa Majesté, depuis qu’elle a un gouvernement régulier. Je n’ai qu’un désir, c’est celui d’entretenir les meilleurs rapports avec elle. J’honore dans M. Thiers le courageux patriotisme avec lequel il s’est dévoué à la tâche de sauver son pays. Ses efforts et ceux des membres de son gouvernement pour réprimer l’insurrection de Paris lui assurent ma sympathie et celle de tous les honnêtes gens. Avec les moyens dont il