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résisterez pas, je saurai vous en empocher. — Mais tu perds la république ! — Il est possible qu’elle succombe ; mais elle se relèvera, et elle serait perdue à jamais si celui qui la représente se révoltait contre le vœu du pays[1]. »

Le 20 décembre, le prince ayant reçu des menaces d’assassinat, se rendit à l’Assemblée escorté de quelques amis. Dès que le rapport sur l’élection eut été lu, il monta à la tribune. En habit noir, portant le grand cordon de la Légion d’honneur, il jura, « en présence de Dieu et devant le peuple français représenté par l’Assemblée nationale, de rester fidèle à la République démocratique une et indivisible, et de remplir tous les devoirs qui lui sont imposés par la constitution. »

Ce serment constitutionnel était d’obligation. Le prince lui donna un caractère volontaire par des déclarations spontanées et explicites. « Les suffrages de la nation et le serment que je viens de prêter commandent ma conduite future. Mon devoir est tracé, je le remplirai en homme d’honneur. Je verrai des ennemis de la patrie dans tous ceux qui tenteraient de changer, par des voies illégales, ce que la France entière a établi. » Il termina par un hommage à son prédécesseur : « La conduite de l’honorable général Cavaignac a été digne de la loyauté de son caractère et de ce sentiment du devoir qui est la première qualité du chef d’un Etat. »

Ces paroles prononcées, le président monta vers le banc où était assis le général et lui tendit la main. C’était la seconde avance publique qu’il faisait aux républicains. Le général surpris laissa prendre sa main plus qu’il ne la donna. Le soir, le prince envoya l’un de ses amis, Heckeren, lui offrir le grand cordon : il le refusa.

Depuis son entrée dans la vie active, avant comme après Strasbourg et Boulogne, devant ses complices comme devant ses juges, dans ses professions électorales et dans ses discours à la tribune, Louis-Napoléon répudiait le rôle de prétendant. En aucune circonstance il ne se réclama des droits héréditaires préexistons : il ne voulait rien devoir qu’à la souveraineté populaire. Non seulement il ne manifestait aucune aversion contre la république, mais il annonçait, et très sérieusement, l’intention d’en consolider l’existence. Pourquoi ne l’avoir pas aidé à remplir ses engagemens en les acceptant comme sincères ? Pourquoi n’avoir pas facilité son effort ? Pourquoi ne l’avoir pas encouragé à placer ses idées personnelles au-dessus de sa tradition ? Pourquoi n’avoir répondu à sa bonne volonté que par une hostilité

  1. Ce fait vient d’être révélé par M. Ch. de Lacombe dans son intéressante Vie de Berryer, t. II, p. 580.