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à une défense commune contre une descente agressive de la France toujours à redouter. Il mande à Vienne un envoyé spécial chargé d’offrir tous les encouragemens, sauf ceux des armes, dont l’Angleterre n’est jamais prodigue. Il l’engageait, quoi qu’il arrive, à s’arrêter à la frontière du Piémont.

Mais l’exaltation des esprits avait augmenté à Turin ; Gênes menace de se séparer ; des députations lombardes déclaraient que, si le roi n’arrive pas, la république sera proclamée à Milan ; on annonce l’apparition prochaine de Mazzini. Charles-Albert hésite parce que l’Angleterre le retient et parce qu’il est de sa nature d’hésiter. Pendant un jour ou deux, on put craindre qu’il ne se montrât comme autrefois le roi Tentenna. Alors, Cavour avait prononcé une seconde fois le mot décisif. Désolé d’abord de la révolution de Février qui interrompait le mouvement libéral dont il attendait des résultats certains[1], il s’était vite repris et, de même qu’il avait été la voix du peuple en disant : Constitution, il le fut encore en criant : Guerre !

« L’heure suprême a sonné pour la monarchie sarde, dit-il à Charles-Albert, l’heure des fortes délibérations, l’heure de laquelle dépendent les destinées des empires et des peuples. Le doute, les retards, les hésitations ne sont plus possibles. En ce moment l’audace est la vraie prudence, et il y a plus de sagesse dans la témérité que dans la circonspection. Une seule voie est ouverte pour la nation, pour le gouvernement, pour le roi : la guerre ! la guerre immédiate, sans retard. Une seule politique est à suivre, non la politique des Louis-Philippe et des Guizot, celle des Frédéric, des Napoléon, des Charles-Emmanuel, celle des résolutions audacieuses. L’Angleterre, dit-on, a protesté et menacé notre pays de sa colère si le Tessin est franchi. Mais en présence des événemens de Milan, quand l’heure de la libération de l’Italie a sonné, quand les peuples s’avancent impatiens contre l’étranger, s’arrêter devant les protestations de l’Angleterre serait lâcheté, ce serait une politique misérable qui couvrirait d’ignominie la nation et ferait peut-être crouler le trône antique de la monarchie de Savoie au milieu de l’indignation des peuples frémissans[2]. L’Angleterre cessera d’être notre alliée, elle nous abandonnera à notre destinée. Qu’importe ! Nous n’avons pas eu, quanta nous, l’illusion de croire que l’Angleterre deviendrait la future libératrice de l’Italie. Nous avons toujours pensé que la conservation de la puissance autrichienne était dans les visées de sa politique, et si ses intérêts étaient compromis nous ne serions point surpris de voir lord Palmerston et lord John Russell serrer la main de

  1. Discours au Sénat, 16 décembre 1851.
  2. Ces mots sont soulignés dans l’article.